Would I buy you ? You’re bad art. You’re kitsch.*
Cette sentence du voisin américain est pourtant claire… Emmanuel en madame Pliz danse dans son séjour. Sagat prend des poses, toutes ratées, toutes aussi pathétiques les unes que les autres. Des scènes destinées à nous émouvoir ? Non. Son miroir, témoin d’un narcissisme maladif, ne serait pas à ce point omniprésent dans le champ. Emmanuel endosse une virilité moribonde, totalement déplacée au XXIe siècle. Obscène… cette esthétique qui fétichise le corps comme une valeur marchande. Cette virilité outrancière qu’on nous sert justement dans les films porno, et qui essaime dans toute l’industrie cinématographique : « Je te donne 20$ pour voir ton cul ! »… Honoré n’aurait pas eu besoin d’une porn star si son seul but avait été de filmer des croupes : comme dans La Belle Personne, ses personnages font office de symboles.
Un côté docu, un côté du cul ? Ce serait trop simple. Côté Omar, Honoré a choisi la formule caméra à l’épaule, et la bande son super fashion, histoire de mieux ancrer le tout dans son époque. On peut crier au fameux « malaise générationnel », poncif franchement stérile (pensons à se remettre un jour de la Nouvelle Vague…). Ou privilégier l’analyse brute et sensuelle de la recette : tronquer un tube du très gentillet Two Door Cinema Club au moment clef de la chanson, puis répéter le fragment assez fort pour qu’il se substitue aux battements cardiaques à la vue du grand amour, le tout sans avoir l’air niais, relève du tour de force. On reconnaît là Honoré, déjà capable, dans Les Chansons d’amour, de transformer une poussive variétoche française en fièvre rimbaldienne. Un vrai miracle ! S’il est capable d’exploser le « bobo » en plein vol, Honoré doit pouvoir corrompre le hype décontracté.
Grand amour, donc : n’ayons pas peur des mots. C’est bien le sujet du film. A New York notre cœur bat pour un inconnu anodin, aux faux airs d’Al Pacino… Parce qu’Omar veut bien les lui trouver. Ce n’est objectivement qu’un frêle blanc-bec mal rasé. Il n’est pas plus beau qu’Emmanuel, pas plus bandant. Il est juste plus émouvant, plus naturel. Alors que la fiction surjoue les sentiments, braconne et revend des clichés efficaces de la beauté, le documentaire la laisse émaner du réel, des faiblesses, du hasard et des maladresses. Loin des fards de la fiction, en tournée de promo pour Non ma fille, tu n’iras pas danser, Chiara Mastroianni n’a rien de glamour, simple et démaquillée. A ces parties ouvertes du film répondent nos rares moments de respiration, rythmée par les pulsations sonores de « Come back home ».
Tu te tiens à distance, tu es érotique et tu détestes le monde.
En face, l’univers d’Emmanuel est étouffant. Lorsque l’image de Chiara Mastroianni pénètre dans sa sphère, c’est forcément grimée comme une pute : elle n’a pas le choix. Emmanuel est un intégriste. Fermé au monde et au bonheur, en pénitence dans son appartement, il dessine le portrait de son ex sur les murs. La surface prime. Il baise à tout-va, met du scotch sur la gueule d’un de ses amants pour oublier qu’hors moustache, il ne sera jamais Omar. Les scènes de trio ne sont pas tant là pour faire éloge du libertinage que pour illustrer la mise à l’écart d’un Sagat archaïque, qui pense encore pouvoir envoyer des télégrammes. Pire que le Minitel, Emmanuel est un objet parfaitement clos et désuet, pétri de tradition macho. Un père aigri mettant, sans rire, la fessé au seul jeune homme qui aurait pu lui insuffler un peu de fraîcheur. Peut-être est-ce caricatural, mais chez Honoré, on a toujours raison quand on a 17 ans… C’est après qu’on fait fausse route.
Esseulé, Emmanuel, sorte de Frankenstein sexuel, agit aussi comme un enfant… Mais un gamin mutant enflé de testostérone, bouffi d’orgueil et confit dans un hiératisme de culturiste. Homme au bain n’utilise pas le porno pour sa photogénie, ni son caractère subversif – si toutefois quelqu’un y croit encore. Ce n’est pas non plus un film sur l’homosexualité. Ni un film sur Sarkozy, malgré les quelques pics lancés. Quoique. Doit-on négliger le parallèle monté par Honoré entre les scores de l’UMP, et la mise en scène d’un acteur porno dans une posture plutôt réac’ ? La porte est grande ouverte. C’est tout le problème d’un film qui peut dérouter par sa forme d’essai, parfois bancal, dû à sa symétrie peut-être trop systématique. Si le ménage à trois avec un couple d’hétéro côté Sagat était par exemple bienvenu, il n’apportait rien de plus côté Mastroianni.
Comme souvent, dans les films d’Honoré, la fin déboule brutalement. Un instant de vérité : le temps qu’il faut à un enfant leurré pour traverser une porte vitrée (Non ma fille, tu n’iras pas danser), à un amoureux idéaliste pour se jeter dans le vide, ou à une sauvage demoiselle pour s’exiler loin des mondanités (La Belle Personne). Aimer moins, aimer longtemps… Aimer mieux, aimer vraiment ? Les deux fantasmes évanouis, Omar aura eu la satisfaction d’avoir aimé, pour la beauté du geste… Rentré dans sa cage à poules, seul avec son nombril, il se pose un instant, devant ses multiples portraits : son faciès dessiné, sa photo agrandie. L’indésirable Emmanuel a disparu… Sa perte nous choque pourtant. C’est l’histoire d’un deuil.
La critique de Sidy Sakho, par là.
* T’achèterais-je ? Tu es du mauvais art. Tu es kitsch.