Ressortie : « Le Carrosse d’or » de Jean Renoir

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À l’occasion de sa ressortie en salles et en DVD, retour sur « Le Carrosse d’or » de Jean Renoir.

Le Carrosse d’or (1953) s’ouvre sur une scène de théâtre déserte. Le rideau laisse doucement la caméra avancer, il s’écarte et dans l’ouverture qui apparaît prend place l’histoire : au Pérou au XVIIIe siècle, une troupe de la commedia dell’arte tout droit arrivée d’Italie vient divertir dans une colonie espagnole le peuple autochtone, les familles de colons européens et accessoirement le vice-roi d’Espagne. Après un lent zoom la caméra voit apparaître les personnages dans le cadre et les planches commencent à bouger sous leurs pieds. L’immobilité de l’ouverture ne dure pas et ces premières images du Carrosse d’or cessent de n’être qu’un instant de théâtre dès lors que la caméra de Jean Renoir décide de suivre les hommes et les femmes qui s’activent dans le décor. Dans un environnement de studio, on restera toujours avec eux en équilibre sur la fine frontière qui sépare théâtre et cinéma mais sans jamais cesser de nous y promener. À l’image du personnage de Camilla (l’explosive Anna Magnani) le film entier à la bougeotte et alors qu’il y a quelques semaines Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais nous proposait les sièges trop confortables d’une salle glaciale, les murs du théâtre de Jean Renoir ne cessent de vibrer. En dehors de la scène et tout autour d’elle on joue fort de la musique, on crie, on se déchire.

La ressortie en salles, dans sa version audio originale, du film qui vit en 1953 Jean Renoir revenir en Europe – Le Carrosse d’or a été tourné en prise directe en anglais – se fait dans une copie restaurée rendant plus flamboyantes encore les couleurs originales. Étrangement on se demande dès les premiers plans si le numérique fait bon ménage avec le Technicolor tant la netteté des images associée à leurs tons sur-contrastés donnent au film après toutes ces années, un aspect visuel plus « kitsch » que théâtral. Vous n’avez encore rien vu usait du numérique et des écrans verts pour tout geler dans le cadre alors que cette restauration du Carrosse d’or, baroque, voit les planches de sa scène brûler jusqu’à n’en laisser que des cendres – quand à mi-film on quitte le théâtre pour d’autres décors on laisse aussi avec lui ses couleurs.

Si Jean Renoir en adaptant ici une œuvre de Prosper Mérimée filme le quotidien d’une troupe de comédiens et une histoire d’amour contrariée – trois hommes pour une femme – son Carrosse d’or parle également en permanence de cinéma, de ses cadres et de ses acteurs. Si François Truffaut voyait en ce film « le chef-d’œuvre de Jean Renoir », « le film le plus noble et le plus raffiné jamais tourné » (1), c’est peut-être que vingt années avant La Nuit américaine (1973) le réalisateur de La Règle du jeu (1939) avait déjà entrepris la même mise en abyme que le cinéaste de la Nouvelle Vague. Lors de l’une des plus belles scènes du Carrosse d’or, alors que la troupe joue l’une de ses pièces, Jean Renoir filme les coulisses du spectacle tout en gardant une petite place dans son cadre pour ce qui se passe sur les planches. Les comédiens discutent entre eux derrière le rideau et continueront de le faire naturellement lorsqu’ils se déplaceront sur scène face au public. Il leur suffit juste de changer de sujet de conversation, de réciter leur texte et le cinéaste, sans coupe au montage, les regardera passer du réel au faux et revenir ensuite de la scène jusque derrière le rideau. À l’image rien ne laisse imaginer que les rôles qu’ils jouent tous les soirs soient moins forts que leurs vies réelles et tout le travail de Jean Renoir est justement de filmer ces instants transitoires où ils enlèvent ou oublient d’enlever le masque. Il ne s’agit pas pour le cinéaste de produire du théâtre filmé, mais de filmer venant du théâtre la contamination du réel par des comédiens ne sachant ni si le public est parti, ni si la caméra tourne encore. Le retour au réel – si réel il y a – n’en est alors que plus dur. Lorsque le film se termine le rideau retombe sur la scène et Camilla se retrouve seule sur les planches. Une voix cruelle lui demande si les personnages avec qui elle a vécu durant le film lui manquent. Elle répond par l’affirmative mais ses yeux terrifiés semblent déjà nous dire qu’elle ne se souvient plus d’eux. 

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(1) François Truffaut, « Un Festival Jean Renoir », dans Les Films de ma vie, Flammarion, coll. « Champs arts », 2007 (1re éd. 1975), p. 62

Titre original : Le Carrosse d'or

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Durée : 101 mn


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