La Bête humaine

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Adaptation de Zola par Jean Renoir

Transposition dans la France de la fin des années 1930 du roman éponyme d’Émile Zola, La Bête humaine propose l’une des rares incursions renoiriennes dans le film criminel, où la quête de vérité du cinéaste s’appuie à la fois sur une relation au monde qui embrasse le décor pour donner sa pleine mesure, et la traduction graphique d’une certaine noirceur occupant l’âme de son personnage principal. Les états d’âme de Lantier, le sentiment qu’il a d’être frappé de malédiction du fait de son hérédité, son inquiétude face au meurtre de Grandmorin commis par jalousie par Roubaud et sa femme Séverine qu’il sait coupables sans les dénoncer, convoquent dans l’image une noirceur peu fréquente chez le cinéaste. Ombres marquées et caractère sentencieux planent ainsi sur certaines séquences. Tout l’art de Renoir consiste alors dans la réinscription des lignes narratives suivies par les personnages dans le cadre d’un récit plus grand qu’eux et que le film. Si fatalité il y a, celle-ci ne conduit qu’à ce que les choses suivent leur cours. Le mal et la tragédie n’y sont qu’accidents de trajet, et la tristesse toujours renvoyée à un paysage qu’elle ne perturbe qu’à peine, ou à un mouvement, comme celui des ouvriers dans la scène finale, qu’elle n’interrompt pas.

La Bête humaine est donc l’histoire d’une trajectoire déviante, que le cinéaste accole au mouvement de la locomotive conduite par Lantier et son acolyte Pecqueux (interprété par Carette). Attentif au cadre social dans lequel évoluent ses personnages, Renoir s’attarde énormément sur les signes, objets et gestes qui le caractérisent, les comédiens principaux ayant bénéficié d’un réel apprentissage avant le début du tournage. Ainsi, la Lison, dont Lantier fait visiter la cabine à Séverine comme un véritable chez-lui, est au cœur de choix filmiques qui vont conférer au film une capacité à transcrire la vie propre d’un milieu, ainsi qu’à sursignifier un malaise, maintenant l’équilibre entre l’appréhension d’un univers et la conduite d’un récit. Cela, par le plaisir et la minutie du cadrage et du montage (magnifique scène d’ouverture sur l’échange muet entre les deux mécaniciens aux commandes et la succession de leurs manipulations), ainsi que par un dosage de la métaphore (les scènes à l’intérieur de la locomotive donnant lieu à des travellings qui rendent compte de ses trajectoires, toujours en lignes droites que viennent rythmer la traversée de quelques tunnels plongeant l’image dans le noir, tout comme Lantier et ses crises récurrentes). Cette coexistence de la captation d’un drame tout entier porté par un personnage et des signes de la vie qui suit son cours n’entraîne pas le film vers une forme circulaire, comme dans Le Fleuve (1951), mais maintient un mouvement et une tension portés vers l’avant. La Bête humaine file en ligne droite, avec heurts et cahots, en installant sa caméra très proche de son personnage, resserrant le cadre aussi souvent qu’elle le peut. Épousant la démarche de sa star (Gabin), celle-ci travaille à construire la conscience d’une irrémédiable marginalité.

Titre original : La Bête humaine

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Durée : 100 mn


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