Prenons un réalisateur belge, Sam Garbarski, qui transpose en France le manga éponyme d´un auteur japonais, Jiro Taniguchi. On obtient une histoire universelle, un joli film empreint de nostalgie, simple et poétique à la fois.
Ce n’est pas retour vers le futur, mais un retour vers le passé pourrait-on dire. Sauf que ce voyage dans le temps est bien différent de celui que réalisait Michael J. Fox dans la trilogie culte des années 80. Oubliés DeLorean et autre gadgets fantastico-futuristes, Quartier Lointain tient plus du conte réaliste que de l’épopée de science-fiction. Reste la question récurrente : peut-on modifier son passé en le revivant, doit-on saisir cette chance offerte de changer son histoire, de se réinventer en somme ?
La seconde chance, la nécessaire réconciliation avec soi-même, avec sa famille, sont autant de thèmes qui jalonnent le cinéma de Garbarski. Déjà dans son premier film, Le Tango des Rashevski, on suivait les démêlés de plusieurs personnages en prise avec leurs histoires et les nœuds familiaux auxquels ils tentaient d’échapper. Irina Palm, sa deuxième réalisation, lorgnait plus ouvertement vers la fable pour adulte, avec son romantisme au royaume du sexe triste. Dans Quartier Lointain, un homme – Pascal Greggory, belle gueule usée, visage émacié, droopiesque façon Bill Murray en plus sec – se rend en province pour participer à un salon de la bande dessinée, sans que ni sa femme, ni ses filles ne prêtent véritablement attention à lui. Le hasard veut qu’il se trompe de train et se retrouve dans le village de son enfance, à présent plus ou moins déserté. Suite à un malaise survenu alors qu’il se recueillait sur la tombe de sa mère, il se voit soudainement replongé dans son corps de gamin de 14 ans, dans sa vie de famille telle qu’elle était avant le départ brusque et mystérieux de son père. Réalité ou rêve éveillé, on ne le sait jamais vraiment, et pour tout dire, peu importe.
Car en fin de compte, le réalisateur met de côté l’enjeu central du film, en apparence, à savoir la réussite (ou non) du personnage dans sa tentative de rafistolage du passé. Une réussite qui permettrait pourtant de guérir ce traumatisme enfoui responsable de tous ses maux d’adulte et, semble-t-il, de la mort de sa mère. Mais il évite ainsi de sombrer dans la psychologie de comptoir, et nous épargne une grossière illustration du fameux « effet papillon » comme métaphore de cette histoire. Assez vite d’ailleurs, on sent poindre cette fatalité inéluctable, on ne peut pas modifier les rouages de sa vie passée, tout au mieux les comprendre. En une scène de danse dans le salon familial, tout est dit. L’affection et la complicité avec la mère (Alexandra Maria Lara, resplendissante), le père déjà trop lointain pour pouvoir être rattrapé (Jonathan Zaccaï très convaincant, voire surprenant dans un rôle tout en retenue et en non-dit). Le héros saisit juste la chance de revivre sa jeunesse et la douce insouciance qui l’accompagne. Ce qui confère au film un aspect quelque peu figé, pas toujours très tendu, notamment une deuxième partie souffrant d’un certain manque de souffle dans sa trame narrative.
Pourtant, Quartier Lointain touche au cœur, légèrement flottant, nostalgique mais jamais réac, mélancolique sans être passéiste. On n’est pas chez Jean Becker… Bercé par la voix off et la musique du groupe AIR, servi par une minutieuse reconstitution des années 60 (des costumes aux décors, en passant par le tourne-disque, le Tour de France sur le petit poste de télé et les voitures d’époque évidemment), le film nous entraîne peu à peu dans son atmosphère éthérée. Le lac de Nantua et les contreforts alpins, magnifiés par une photographie vaporeuse mais lumineuse à la fois, donnent du relief aux décors. Les gros plans fixes succèdent aux plans larges contemplatifs, dans un tempo lent uniquement rythmé par un montage enchaînant les fondus. Par ses mouvements de caméras langoureux, Sam Garbarski cultive cette douceur à l’égard de ce qu’il filme. Simplement beau, et c’est déjà beaucoup…
Par la satire sociale, cette comédie de moeurs tourne en dérision les travers de l’institution maritale. Entre Cendrillon et Le Roi Lear, la pochade étrille la misogynie patriarcale à travers la figure tutélaire de butor histrionique joué avec force cabotinage par Charles Laughton. Falstaffien en coffret dvd blue-ray.