Pour une poignée de dollars

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Sergio Leone réinvente un genre et façonne un nouveau type de héros.

Après une fructueuse carrière d’assistant réalisateur – où il se forgea une solide expérience dans des superproductions hollywoodiennes délocalisées en Italie telles que le Ben-Hur de William Wyler (1959) ou Sodome et Gomorrhe de Robert Aldrich (1962) -, Sergio Leone était enfin parvenu à signer son premier film avec le péplum Le Colosse de Rhodes (1961). Il était parvenu à glisser son ironie et art de la déconstruction dans un genre qu’il exécrait pourtant, le péplum. Le succès du film ne lui amène malheureusement que des propositions dans ce même registre mais qu’il refuse toutes en bloc. Si l’on excepte le succès massif de la comédie, le cinéma italien vit à ce moment là un léger moment de creux. Les tournages dispendieux de Le Guépard de Luchino Visconti (1962) et justement de Sodome et Gomorrhe ont mis une grosse société de production comme Titanus dans le rouge, et les films risqués à gros budgets se font plus rares. D’un autre côté le cinéma d’exploitation voit le lucratif filon du péplum s’étioler. Pour Leone le choix du western ne se fait pas par amour inconditionnel du genre (bien qu’il admire le travail de John Ford, Anthony Mann ou Howard Hawks) mais par les possibilités de financements offertes, mais aussi le terrain d’expérimentations qu’il offre à son approche iconoclaste.

Le western européen n’est pas né en Italie puisque les espagnols et surtout les allemands (notamment avec l’amusante série des Winetou adaptés de l’auteur allemand spécialiste du genre Karl May) en produisaient en rabais en américanisant les noms d’un casting et équipes techniques bien locaux. Sergio Leone et le cinéma italien au sens large inoculera ainsi au western la culture latine et européenne à travers des éléments issus de la mythologie grecque, le récit gothique ou encore la commedia dell’arte dans les odyssées épiques et ludiques de ces personnages hauts en couleur. Cette ambition se fera à une échelle plus modeste pour le galop d’essai qu’est Pour une poignée de dollars et Leone s’inspire là du Yojimbo d’Akira Kurosawa (1961) dont il reprend la structure, les péripéties (et parfois certaines idées de mise en scène) mais revisitées à l’aune de ce cadre américain du western et d’un traitement européen du genre par les éléments évoqués plus haut.

 

 

Pour une poignée de dollars possède donc un postulat façon Shane (George Stevens, 1953) : un mystérieux étranger (Clint Eastwood) arrive dans une ville sous le joug de tyrans puissants et va se charger de remettre les choses en ordre. En pratique, on en est loin avec ce village désertique où Leone alterne réalisme inédit (l’environnement et les protagonistes crasseux) et pure artificialité. Le mouvement de caméra fait du village une scène de théâtre où les maisons ennemies se font face, observée par les spectateurs/habitants apeurés derrière les rideaux de leur maison.  L’étranger est d’ailleurs interpellé par une tirade Shakespearienne : Tu es armé. Mais ici il n’y a que la mort. Dès lors l’intrigue constitue une pièce à ciel ouvert jouant sur plusieurs gammes. Leone use d’abord la carte du pur cynisme avec le jeu de dupe intéressé de l’Etranger, son attitude désinvolte et ses répliques sardoniques et cinglante d’un camp à l’autre. Eastwood est le sobre quand Ramon (Gian Maria Volonté) sera le cabot, mais tout deux semblent dans un premier temps être les revers d’une même pièce. Quand Eastwood use occasionnellement (et toujours à bon escient) de la violence mais soigne son appât du gain par la malice, Volonté est plus démonstratif dans son jeu et ses actions tout en poursuivant les mêmes objectifs, que ce soit un massacre à la mitrailleuse ou la séquestration d’une femme qui lui plaît. Un même regard bleu sert à tout deux pour intimider/convaincre son interlocuteur (Eastwood) ou lui inspirer la peur avant de le châtier (Volonté). Le contraste entre l’underplaying d’Eastwood et la démesure de Volonté (au point que Leone ajoutera l’élément de la drogue pour justifier les tics de son acteur hérité de sa formation classique scénique) fait donc merveille et cette opposition finira par être morale à mi-parcours.

L’un des films modèle et précurseur du western spaghetti est certainement le Vera Cruz (1954) de Robert Aldrich dont Leone admirait le travail. Le duo Gary Cooper/Burt Lancaster y constituait aussi un duo antinomique mais réunit par l’appât du gain avant que la conscience de « l’american hero » Cooper le force à s’opposer à son acolyte. La scène d’ouverture introduisait subtilement un élément qui devient explicite à la moitié du film (une famille séparée pour le bon plaisir de Ramon) et dont la résolution ramène Eastwood à une dimension héroïque. Marisol (Marianne Koch) a des atours de Marie-Madeleine dans la manière dont la filme Leone qui déleste progressivement Eastwood des éléments en faisant un aventurier de passage (le chapeau, le poncho) pour lui conférer une présence quasi angélique (frappant lors de la scène où il voit Marisol étreindre son jeune fils), un Ange Gabriel perdu dans la fange mexicaine. Cette bascule dans le bien humanise le personnage tout en maintenant son mystère (Eastwood aura éliminé quantité de dialogues superflus pour parvenir à ce sentiment, et une scène d’amour a été tournée mais coupée au montage), et s’il est un ange/saint (passant par son martyr et sa résurrection) alors Ramon peut devenir le Diable personnifié. Un enfer de flamme et de balles se déchaîne lorsqu’il abat impitoyablement le camp des Baxter, Volonté exprimant la pure démence hilare alors que les corps tombent et brûlent sans discontinuer. Cette manière d’amener une forme d’humanisme tendre est typique d’un Leone plus sensible qu’il ne veut l’admettre : le motif de la vengeance du Colonel dans Et pour quelques dollars de plus, l’entrevue avec son frère de Tuco et la destruction d’un pont dans Le Bon, la brute et le truand, Cheyenne amoureux transi dans Il était une fois dans l’Ouest… Ce penchant prendra même le dessus sur l’adrénaline et l’action rigolarde dans Il était une fois la Révolution (1971) et Il était une fois en Amérique (1984).

Le style Leone est déjà là de manière brute, notamment cette volonté de passer l’émotion dans une pure approche cinématographique où un gros plan (sur le visage maternel et sacrificiel de Marianne Koch, celui stoïque et roublard d’Eastwood ou fou et imprévisible de Volonté) ou une ponctuation musicale d’Ennio Morricone prévaut sur un dialogue inutile. Le style heurté des gunfights, tant dans le montage que les conséquences innove, tout comme l’emphase soignée et extrême des affrontements (la contre-plongée sur Ramon et ses hommes vers Eastwood à la fin). Le réalisateur n’oublie jamais d’allier réalisme et ludisme dans cette approche, notamment dans le fétichisme des armes. L’élément final mais fil rouge de l’opposition Eastwood/Volonté repose ainsi sur la maîtrise du revolver de l’un et la dextérité au fusil de l’autre, souligné par le dialogue. L’ultime duel, en plus de résoudre tous les enjeux moraux, symboliques et narratifs a donc en charge de répondre à la question. Nous ne sommes pas encore dans l’étirement du temps surnaturel avant l’explosion, mais Leone offre plus qu’une ébauche de ses futurs duels avec souffle émotionnel et infantile pour le spectateur qui souhaite voir le héros en finir avec cet abject adversaire. Le réalisateur parvient à conjuguer parfaitement héroïsme classique avec panache iconoclaste où l’Homme sans nom peut poursuivre son chemin sans un regard. Sacrée réussite mais le meilleur était encore à venir.

Titre original : Per un pugno di dollari

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Durée : 99 mn mn


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