Pixote, la loi du plus faible (Pixote, a lei do mais fraco)

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C’est Hector Babenco lui-même qui est posté, dès l’ouverture du film, en surplomb devant une favela, tel un sociologue recruté par un journal télé, en égrenant des statistiques et autres faits véridiques relatifs à la délinquance infantile (notamment le fait qu’en tant que mineur, on ne peut être condamné par les tribunaux, d’où l’exploitation éhontée […]

C’est Hector Babenco lui-même qui est posté, dès l’ouverture du film, en surplomb devant une favela, tel un sociologue recruté par un journal télé, en égrenant des statistiques et autres faits véridiques relatifs à la délinquance infantile (notamment le fait qu’en tant que mineur, on ne peut être condamné par les tribunaux, d’où l’exploitation éhontée des adolescents par les adultes). Volonté du cinéaste de conférer une veine vériste, naturaliste, à son film, en s’immergeant notamment dans la fiction ? De prime abord, on le croit, d’autant plus que les jeunes acteurs engagés dans son film sont de vrais garçons des rues (tragique retour du réel : le jeune incarnant Pixote sera assassiné six ans après le film).

Babenco ne semble en réalité recourir à cette présentation vériste que pour mieux la subvertir car il se met à aligner une succession de plans généraux sur des habitants dudit quartier, immobilisés dans une simple pause, geste photographique en somme. Parmi eux, un jeune garçon qu’il appelle Fernando (son vrai prénom), tout simplement celui qui va jouer Pixote dans les minutes qui vont suivre, dont on ne distingue pas bien les traits. Selon Babenco, il vit avec sa mère, debout à ses côtés, et ses 9 frères et sœurs. La seule différence avec les autres habitants, dans cette présentation figée, réside dans le travelling avant sur ce personnage principal. L’effet cinéma est déjà signifié dans ce mouvement de caméra on ne peut plus voyant. C’est comme si Babenco arrachait un morceau de réel d’une toile de fond statique pour le projeter dans un véritable univers cinématographique. Le propos, d’emblée, devient éloquent : la fiction qu’il va nous présenter, bien que s’appuyant sur des faits et des personnages réels, va allègrement la dépasser. Et c’est alors qu’en vue d’étayer cette subversion, le générique est lancé. Celui-ci terminé, les plans qui suivent attestent, à contrario, de cette plongée définitive dans la fiction : une série de gros plans sur des adolescents.

D’abord celui d’un noir, qui semble émerger petit à petit du fondu du générique final, un autre, blanc et frisé, puis deux, puis trois autres, en plan moyen. Presque tous ont les yeux médusés, rivés vers ce que nous devinons être une télé retransmettant un programme violent, puisque le son nous est renvoyé « off ». La caméra, abandonnant les jeunes, finit en effet par cadrer cette télé, montrant effectivement une scène de bagarre, puis s’en éloigne pour découvrir en plan large l’espace occupé par les adolescents ; lesquels commencent à engager une bagarre par mimétisme. Babenco nous signifie là à quel point, par la fascination ressentie par ses personnages, la violence représentée à la télé n’est déjà plus un attribut du réel, mais un phantasme cathodique.

C’est par le prisme du regard de Pixote, dix ans, que le film trouve son vrai régime fictionnel, symbolique, dans les deux parties qui le composent. Dans la première, entièrement tournée dans le centre d’hébergement, Pixote assiste à distance à certains évènements, notamment cette scène hyper violente d’un viol collectif de nuit, pour laquelle il refuse de témoigner. Son obligation de passivité, qui le fait avaler une soupe dans laquelle un ado « aîné » a craché, finit par le conduire au lit, à force de somatisation. Toute autre est la deuxième partie, à l’issue d’une évasion du centre de redressement, où Pixote fait l’apprentissage de la violence avec, entre autres, cette scène, au départ voyeuriste, où il assiste aux ébats de la prostituée Suelli avec un client, avant de refermer le piège sur celui-ci, en surgissant dans la pièce, pistolet à la main, pour le racketter. C’est précisément le moment où Pixote passe du statut de spectateur à celui d’acteur (qu’il ne quittera plus). Son expérience existentielle est désormais entièrement corrélée à son inscription dans la violence. Manier des armes, embrasser Suelli, participer à un trafic de drogue, sont autant de manières de se précipiter dans le cycle infernal de la violence et la maturité accélérée, comme cette scène peu ragoûtante où Suelli, assise sur la lunette des toilettes, lui montre le fruit de son auto-avortement gisant à ses pieds.

A force de grandir trop vite, tuant par mégarde un de ses compères et un client de Suelli, Pixote achève son parcours de manière régressive, en tétant le sein de Suelli. Scène extrême, trop explicite, mais qui signifie à quel point on ne peut dépasser certaines étapes sans conséquences néfastes.

Titre original : Pixote, a lei do mais fraco

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Durée : 125 mn


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