Paris, Texas (Wim Wenders, 1984)

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Un voyage dans la mémoire.

Dans un sublime paysage du désert texan surgit la figure émaciée, sale et barbue de Harry Dean Stanton. Le visage hagard, l’œil fixé sur quelque chose que l’on ignore, Travis avance. Seuls comptent ses pas, qu’importe la direction qu’ils prennent.
Contrairement à bon nombre de road-movies, Wim Wenders fait commencer l’énigmatique Paris, Texas par une marche à pied. Plus tard viendra la voiture, la route, le bitume, et les souvenirs que traîne avec lui un homme en quête de son passé.

Road-movie et réminiscence

À la différence d’un film comme Easy Rider (Dennis Hopper, 1969), qui voit la route comme une ligne infinie regorgeant d’aventures, Paris, Texas s’attarde plus sur les aspects concrets de la route que sur son rôle mythologique dans la culture américaine. À la place des fêtes hippies qui émaillent Easy Rider, les personnages de Wim Wenders recherchent avant tout de l’eau potable, des motels pas trop sales, et des cabines téléphoniques.
Pour autant, l’intérêt du cinéaste allemand pour les éléments concrets de la route ne fait pas de Paris, Texas un anti-road movie ou une dégradation satirique du genre. La focalisation de la mise en scène sur ces choses oubliées va de pair avec l’attention portée aux êtres mis de côté, comme l’est Travis, retrouvé par son frère Walt (Dean Stockwell) après une disparition de quatre ans, et son fils Hunter, à la position inconfortable dans le couple formé par son oncle et sa tante (Aurore Clément).

Si le film se démarque d’une lecture patriotique de la route – qui considère cette dernière comme une figure de la psyche américaine -, il rejoint néanmoins l’essence du road-movie dans la mesure où ce qui motive les personnages n’est pas tant le but que le chemin à parcourir. La trajectoire de l’amnésique Travis se lie ainsi à celle des objets qu’il redécouvre sur le chemin du retour avec son frère Walt : la photo d’un bout de terrain à Paris, Texas lui rappelle son désir de retrouver les racines familiales, la chevelure blonde de son fils Hunter celle de sa mère, Jane (Nastassja Kinski), elle aussi disparue, et les chaussures qu’il étale sur la terrasse son besoin de fuir quatre ans plus tôt. Le voyage se situe alors autant dans l’espace extérieur que dans le territoire intérieur, et la route devient donc le lieu et l’objet d’une quête de soi.
 


Poétique de l’errance
C’est pourquoi Travis ne peut, à la différence de son frère et de sa belle-sœur, vivre de manière sédentaire. Et Hunter, qui guette le décollage des avions depuis la maison, se sent animé par le même souffle nomade. Seules les immensités désertiques traversées par la route intéressent ces cœurs isolés, et non l’enfermement dans un prétendu confort domestique.

Là encore importent peu les lieux. Travis fuit la maison et les hôtels, car c’est l’entre-deux, l’errance vagabonde, qui a sa préférence. Sa morale personnelle se trouve irrémédiablement liée à la route, présent continu sur lequel il projette une existence désormais sans avenir, puisque sans passé.

Dès lors, la route apparaît comme un espace paradoxal, au sein duquel se meuvent des êtres aux aspirations divergentes. Pour le trio Travis-Jane-Hunter, elle sépare autant qu’elle réunit. La dernière séquence de retrouvailles repose sur un magnifique usage de la vitre qui divise autant qu’elle relie les amants du temps passé : d’abord séparés par une série de champs/contre-champs, ces derniers se trouvent réunis dans un même plan par un changement d’axe et un obscurcissement de la pièce qui rend plus visible la petite lampe qui brille derrière la vitre. La grâce à l’écran. Autrement dit, la mise en scène cinématographique ménage au sein même de la matière la plus concrète qui soit – le bitume – un espace de liberté. Un territoire d’errance, où le cinéma ébauche des formes et dessine des vies.

Titre original : Paris, Texas

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Durée : 150 mn


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