Le nom de Mikio Naruse a une bien faible résonance dans nos pays. Il fait partie de ces générations de cinéastes des deux « Ages d’or du cinéma japonais », mais a grandi à l’ombre des Ozu, Mizoguchi et autres Kurosawa. Gageons que le support DVD et les reprises de ses films dans des salles de cinéma indépendantes parviendront enfin à lui donner la notoriété qu’il n’aura jamais connue de son vivant. Comme par exemple Nuages flottants, un grand film tout simplement, mais laissé trop longtemps dans l’oubli…
Nuages Flottants clôt temporairement une série de cinq films adaptés des romans de Fumiko Hayashi. Le sixième sera Hôrôki, qui sera porté à l’écran en 1962. Le « système cinématographique » naruséen est délicat à retranscrire. Les influences néo-réalistes sont visibles. La mise en scène utilise très peu d’artifices, les mouvements sont discrets, le cadrage est instinctif. Dans sa construction, le film emploie de nombreux flash-back. Naruse évite un style trop emphatique mais parsème son récit de moments de grâce absolue.
Naruse est considéré comme un auteur de « films à femmes ». Il parvient à retranscrire avec finesse et intelligence le destin et la vie de ses héroïnes. Il sait pénétrer au plein cœur des femmes pour dégager leur grâce naturelle et leur part de mystère ; tout en n’omettant jamais de resituer le contexte politico-historique dans lequel elles évoluent.
Il œuvre de la même manière que certains cinéastes américains de l’époque, que l’on a longtemps considérés comme les meilleurs : Joseph L. Mankiewicz, Georges Cukor, Douglas Sirk pour ne citer qu’eux. La comparaison avec Mizoguchi est également pertinente dans le sens où chez lui comme chez Naruse, la femme tend à devenir une figure mystérieuse, surréaliste et mythique. Nuages flottants est un drame social évoquant la guerre et la déliquescence des valeurs traditionnelles à travers l’histoire de deux êtres qui tentent de se reconstruire une vie, mais qui se heurtent aux difficultés d’un pays qui cherche lui-même à se reconstruire. L’héroïne est déterminée à vivre le grand amour avec un homme qu’elle a rencontré en Indochine ; problème, cet homme est marié. On notera au passage que le duo d’acteurs, composé de Masayuki Mori dans le rôle du mari-amant et de Hideko Takamine dans celui de la femme amoureuse, douce et charmante, est remarquable.
La magie du cinéma de Naruse se trouve dans ces secondes où rien ne se passe. Dans les regards qui s’échangent en laissant planer le silence. Dans les mouvements légers d’une caméra qui observe sans se faire intrusive. Dans cette contemplation aux élans lyriques et magiques. En voyant Nuages flottants, on comprend mieux pourquoi le talent du cinéaste est aujourd’hui mis en avant.
Une tasse de thé, un parfum subtil qui s’en dégage. Le rayon de soleil d’un matin de printemps, la brume d’une belle nuit d’été, rafraîchissante et enivrante comme un bon vin. Nuages flottants fait partie de ces films aériens qui agissent comme une pause dans le temps ; captation du temps qui passe, que l’on arrête pour apprécier les moindres détails…