Nowhere Boy

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Lennon l´intouchable à l´écran, fallait oser ! Les conditions les meilleures semblaient réunies pour frapper fort. Mais non…

Entre les fans invétérés qui hurlent au scandale et ceux qui l’espéraient comme le messie, c’est peu dire du biopic sur Lennon qu’il était attendu. Le projet défiait la suspicion qu’on peut avoir face au genre. Dans Nowhere Boy, pas de centaines d’heures de maquillage pour faire ressembler trucmuche à machin chouette, pas de reconstitution à outrance, pas de décalques des paroles de la star dans la bouche de son avatar cinématographique et, plus troublant, pas de musique des Beatles. En gros, pas vraiment l’hagiographie qu’on a l’habitude de se voir servir. A l’origine : l’envie d’un film sur Lennon – il ne faut pas se leurrer, les Beatles ça rapporte toujours autant, la récente mise en ligne de leur catalogue sur i-Tunes parle d’elle-même – et un scénariste, pas n’importe lequel : Matt Greenhalgh, celui du Control d’Anton Corbijn. Mais le plus excitant restait à venir : à la caméra la Young British Artist Sam Taylor-Wood dont la sensibilité musicale fait mouche dans chacune de ses installations vidéos, et Goldfrapp à la musique, groupe parmi les plus clairvoyants de la scène anglaise. C’est dire l’impatience, même pour ceux que le cas Lennon n’intéresse pas vraiment.
Nowhere Boy fait le choix de se concentrer sur la jeunesse de Lennon : soit John avant Lennon et la genèse des Beatles, devenus ici les Quarrymen, le film s’arrêtant juste avant que les premiers succès ne se présentent. Donc Lennon (incarné par le Kick-Ass Aaron Johnson) et son enfance difficile, sans ses parents, élevé par l’oncle rigolo (David Threfall) et la tante rigide (Kristin Scott Thomas). Puis maman (Anne-Marie Duff) reparaît, donne goût à la musique et l’envie de former un groupe. Pas besoin de faire un dessin…
 

Tout l’intérêt d’une Sam Taylor-Wood aux commandes d’un biopic sur l’une des plus grandes stars de la pop était l’apport de sa personnalité artistique pour déjouer les pièges du biopic et en détourner allégrement les codes. Ses installations vidéos s’employaient déjà à formellement surjouer l’aspect cinématographique et la référence au septième art (sujet, cadrage, montage et jeu des acteurs), de même que dans ses clips. Ainsi I want love, réalisé pour Elton John en 2001, montrait un Robert Downey Jr esseulé chantant sa détresse en playback dans une immense demeure vide dans un superbe plan séquence, le clip oscillant entre une adhésion au jeu désespéré de l’acteur et un recul ironique de la caméra. Nowhere Boy, dans sa première partie notamment, tend vers ce qu’on pourrait nommer un ultracinématographisme, une exaltation des caractères et des éléments propres au cinéma vers une intense stylisation : séquences ultra-découpées, grande attention au cadre et aux mouvements de caméra, récurrence du travelling, lumière chaude et enveloppante…

Tous ces éléments donnent une impression, volontaire, de déjà-vu et renforcent le caractère archi-cliché des scènes et des situations. Ainsi Lennon n’apparaît en rien comme un être exceptionnel, qui se détacherait de la foule des adolescents de l’époque. Au contraire, la caméra le montre comme n’importe qui, guère mieux ou pire que les autres, comme si son élection au premier plan n’était qu’un pur hasard. On retrouve ici la capacité de Sam Taylor-Wood à rendre sensible et crédible les sentiments les plus banals au sein de situations les plus attendues : la naissance de la jalousie au détour d’un regard, l’harmonie d’un simple plan sur des pieds qui se mettent naturellement à battre le rythme ensemble, l’apprentissage par une accélération bien sentie…
 
Mais qu’est-ce qui cloche alors pour que ce film soit aussi raté ? Essentiellement le scénario,qui lui aussi aligne les clichés, mais sans porter de regard sur eux, avec un premier degré consternant. C’est donc la caractérisation psychologique de base qui intéresse le film. Lennon dans ses fêlures, John devenu Lennon par ses fêlures avec un vieux flashback sur l’enfance qui tourne en boucle devenant plus précis à chaque passage, mais confinant chaque fois plus au ridicule. Taylor-Wood réussissait à merveille son court métrage Love You More (sélectionné en compétition officielle pour la palme d’or du court métrage à Cannes en 2009), par l’évacuation de toute psychologie au profit de la mise en avant des corps, des sentiments et du désir qui suinte de ces corps dans une adéquation parfaite avec la musique (les Buzzcocks), sans le poids d’un discours téléologique redondant. L’attrait de son travail tenait beaucoup dans l’absence de « parce que », dans le refus de donner causes et raisons pour véritablement incarner un sentiment, une émotion, une valeur à l’image avec un regard qui n’excluait pas un recul, voire une ironie, sur la banalité de ce qui est représenté (« je te désire » dans Love You More, « je te déteste salop ! » dans l’installation Travesty of a Mockery en 1995).
Dans Nowhere Boy, toute possibilité d’appréciation de la situation pure est neutralisée par l’omniprésence du « parce que » qui est malheureusement d’une pauvreté confondante. Il y a une trop grande adhésion par tous les éléments du film à un scénario guère intéressant, ce qui finit par se traduire par un manque d’ambition généralisé et des talents personnels remisés au placard. L’environnement musical composé par Alison Goldfrapp et Will Gregory est sans intérêt, la présence de Sam Taylor-Wood finalement inutile. Il est dommage de voir tant de talents réunis se contenter de si peu. L’une des rares bonnes surprises du film vient – comme toujours pourrait-on dire ! – de Paul McCartney. Incarné par le tout jeune Thomas Brodie Sangster (récemment croisé au détour de Nanny McPhee), son aisance légère en éclipserait presque, par une plus grande finesse, la vraie star. Comme toujours….

Pour découvrir le travail de Sam Taylor-Wood :
La première partie de Love You More (2009)
Le clip de I want love (2001) pour Elton John avec Robert Downey Jr

Titre original : Nowhere Boy

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Durée : 98 mn


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