Naissance des pieuvres

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Premier long métrage d’une réalisatrice tout fraîchement sortie de la Fémis, Naissance des Pieuvres nous embarque dans une sorte de gynécée aquatique où l’on peut contempler le spectacle de ces Néréides, Naïades ou Océanides à l’allure séraphique, aux cheveux soigneusement noués et aux gestes coulants. En plein cœur d’un univers neptunien intemporel, les ballets de […]

Premier long métrage d’une réalisatrice tout fraîchement sortie de la Fémis, Naissance des Pieuvres nous embarque dans une sorte de gynécée aquatique où l’on peut contempler le spectacle de ces Néréides, Naïades ou Océanides à l’allure séraphique, aux cheveux soigneusement noués et aux gestes coulants. En plein cœur d’un univers neptunien intemporel, les ballets de ces êtres nubiles illustrent à merveille la notion de perfection, dans un monde juvénile où le corps rime le plus souvent avec complexe. Ici, point de place pour le ton langagier, très trivial qu’adoptent bon nombre de films sur l’adolescence et les premiers émois amoureux. Non, Céline Sciamma a choisi de privilégier un niveau de langue plus neutre, soustrayant ainsi l’inscription de son histoire dans une chronologie précise et fait régner grâce et élégance dans son film, à travers des compositions à la symétrie sans faille. Les symphonies gestuelles sont orchestrées avec rigueur et conçues comme les ouvrages architecturaux de Le Nôtre ou Hardouin-Mansart.

Le bassin où se meuvent ces sirènes représente l’Absolu. Regorgeant de sensualité à travers les mouvements ondulatoires des nageuses aux paupières pailletées, il est l’endroit qui enchante par sa matière liquide et le lieu où s’éveille la libido. Il est, selon l’expression de Claudel tel un miroir […] à la fois pause et caresse, passage d’un archet sur un concert de mousse. Comme maints lacs ou bassins qui jouxtent les demeures royales (on pense au Parterre d’eau situé face aux grands appartements du château de Versailles), il symbolise un œil, un regard, celui à travers lequel se lit le désir de Marie face à la beauté tentaculaire de Floriane. Lieu central du film, la piscine correspond également au regard de la réalisatrice qui investigue ce microcosme d’adolescents, microcosme quasi déserté par les adultes et où les jeunes hommes s’apparentent bien plus à des reflets vagues, noyés dans une eau profonde, plutôt qu’à des personnages à part entière.

Le long métrage s’articule autour d’un trio exclusivement féminin. Floriane apparaît comme la belle aux charmes tantôt célestes, tantôt méphistophéliques. Anne vient contrebalancer ce premier personnage. Elle est l’adolescente enveloppée, cette brebis galeuse errant dans cet univers où le paraître triomphe comme un despote. Enfin, Marie correspond à la fille au visage candide et aux gestes gauches. Elle est en pleine découverte de son désir homosexuel et fait penser à ces protagonistes issus du roman d’apprentissage. Naissance des Pieuvres adopte les codes propres aux films consacrés à l’adolescence et présente des archétypes évidents mais Céline Sciamma ne s’y confine pas et manipule les conventions à sa guise. Propulsée par un flot créateur, la réalisatrice décide d’explorer en profondeur les contrées de ces êtres à mi-chemin entre l’enfance et l’âge adulte. Le vermeil éclate des plaies délicates des jeunes filles pendant les soirées où valsent les spots. Les corps dansent, au milieu de la nuit, sur une musique électro qui ne peut assourdir le mal-être des personnages, filmé dans sa complexité et par une caméra faisant à la fois preuve d’un sens scrutateur aigu et d’une très belle sensibilité.

Naissance des Pieuvres est un film au cours duquel on se laisse volontiers emporter, comme le poète Novalis, par la contemplation de cette eau limpide, lieu où émerge l’essence féminine et où, dans un carrousel aquatique, ondoient ces nymphes à l’âme entaillée.

Titre original : Naissance des pieuvres

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Durée : 95 mn


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