Le film le plus connu de Jerzy Kawalerowicz (il obtint un Prix du Jury à Cannes en 1961) est également le sommet de sa filmographie. La mise en scène y trouve un équilibre subtil entre déploiement de motifs plastiques, allusions picturales et traitement parfois très théâtral des situations.
Un couvent du XVIIe siècle y est le théâtre de possessions démoniaques, nécessitant la venue d’un exorciste. La rencontre, orchestrée par le récit entre le père Suryn et la communauté de religieuses conduite par la mère Jeanne des Anges, prend appui sur un discours distancié et critique concernant la relation à la foi, tout en mobilisant les puissances picturales du cinéma. Tout autant que des contrastes, le film bâtit des chapelles, puis y enferme ses personnages, non sans un certain fatalisme. Est ainsi emblématique ce geste du personnage du prêtre, conduit à bâtir une grille en bois épais qu’il installera afin de pouvoir communiquer avec la Mère Jeanne tout en étant séparé d’elle, reproduisant à l’échelle d’une pièce le dispositif du confessionnal tout en lui octroyant les allures d’une herse. Les objets, les espaces, sont ambigus, travaillés par des forces archaïques dont la convergence perturbe la capacité représentationnelle.
Si la topographie construite par le film semble au premier abord opposer espaces sombres et confinés avec la blancheur des murs du couvent, des habits des religieuses et celle d’un no man’s land au milieu duquel trônent les restes d’un bûcher, il n’a de cesse de traduire les errements de ses personnages par une profusion de signes de la corruption d’une teinte par les nuances d’une autre. Alors que le récit se focalise peu à peu sur le trouble qu’installe chez le père Suryn la présence de la Mère Jeanne, les plans inscrivent visuellement l’idée d’intrusion. Belle idée que cette scène proposant par l’utilisation de linges bancs suspendus une vision stratifiée et mouvante de l’espace, au fond duquel s’agite un petit démon facétieux.
La relation à l’espace construite par une caméra mobile ne cesse de relier, puis de séparer, bougeant les lignes, questionnant la place de chacun. À l’image de ce à quoi l’on assiste au cours des premières minutes, un simple changement de direction de regard, une mise en mouvement du corps, peut avoir pour conséquence un bouleversement du cadre redéfinissant les positions de chacun. À l’inquiétude ritualisée et l’isolement du prêtre dans une chambrette succède, du fait du simple geste de pousser un volet, un envahissement du plan par un blanc asséché, brutal, violent : incarnation d’un souffle stupide, celui du monde, de l’extérieur, qui pénètre les bâtisses comme les corps pour y semer la pagaille. Le film dispose ainsi quelques saillies, comme ce recadrage sur la trace noirâtre laissée sur un mur blanc par une main supposée maléfique. Là encore, le changement d’échelle saisit l’âme.