En voulant remettre Médée au goût du jour, Tonino de Bernardi signe un film parfois maladroit mais pas dépourvu de charme, témoin subtil de l’immigration d’aujourd’hui en France.
En 2008, en proche banlieue parisienne, Médée est devenue Irène, étrangère venue d’ailleurs et qui vit aujourd’hui parmi nous. Celle qui a abandonné sa terre d’origine pour suivre Jason, le père français de ses deux enfants, subvient aux besoins du foyer en se produisant tous les soirs dans un cabaret. Bientôt, Jason la quitte pour une autre, une qui vient d’ici. Alors, Irène-Médée tente de survivre, jongle comme elle peut, et pense à l’infanticide. Voilà pour la relecture contemporaine d’un des mythes des plus célèbres de tous les temps. Cette Médée Miracle, c’est Isabelle Huppert, à qui le film de Tonino de Bernardi semble tout entier dédié. Après une première rencontre avec l’actrice au festival de Locarno en 1993, les deux se croisent à plusieurs reprises au fil des années. Il lui propose le projet de Médée, personnage qu’elle avait déjà interprété sur scène, sous la direction de Jacques Lassalle. Elle dit oui. Le film est donc né ainsi, d’un goût commun pour l’héroïne grecque, et d’un même amour pour un cinéma en dehors des clous.
Un cinéma en dehors des clous donc, pour un film qui ne l’est pas moins. Médée Miracle ne ressemble d’ailleurs presque pas à un film de cinéma, tant émane de tous les plans une exigence de vidéaste plus que de cinéaste. Tonino de Bernardi aime explorer des modes de récit différents, et là réside la première faiblesse du film. A trop mêler réalisme prégnant et mythologie, reste d’une histoire à forte puissance lyrique le côté sociologique – plutôt bien rendu – mais pas dramatique. Le tabou de l’infanticide est ici évacué, comme s’il était trop grand, trop lourd à digérer. Irène-Médée n’aura de cesse d’y penser, mais pas de passer à l’acte. "Je les ai fait naître, je peux les faire mourir", dit-elle. "Si je les tuais, ce serait par amour, pour qu’ils ne souffrent pas". Le constat social est pourtant passionnant, et la question méritait d’être soulevé. Peut-on, au XXIè siècle, en région parisienne, assassiner ses propres enfants, pour les arracher à la misère sociale?
Médée Miracle dit que non, en fin de compte. Il atteste de la validité du fantasme, mais réfute la thèse d’un quelconque passage à l’acte. Dommage, le mythe ne parle que de cela. C’est ainsi que tout le film repose sur le jeu d’Isabelle H., l’actrice-héroïne capable de tout jouer, au jeu affûté et qui sait les tensions intérieures. Tonino de Bernardi, comme tant d’autres avant lui, semble à peine croire à la chance de l’avoir dans son film, et tend à la laisser performer plus qu’interpréter. Elle est bien sûr merveilleuse, évidemment juste. Mais difficile pour les autres comédiens, non professionnels pour la plupart, de tenir la route face à elle. Dans Copacabana, elle écrasait aussi Lolita Chammah, sa propre fille, de son autorité. Mais le scénario venait d’un miroir tendu à leurs rapports dans la vraie vie qui justifiait de la placer au centre.
Malgré tout, se dégage de Médée Miracle un aspect quasi documentaire qui accroche. Irène est "encore" une étrangère en France, cette terre d’accueil plus très accueillante. Elle y trouve des feux, qui chez elle étaitent des "rythmes de joie", ici expriment la révolte, "allumés par ceux qui sont inférieurs". Elle fait face aux juges qui veulent lui retirer la garde de ses enfants. Elle chante son malaise dans un cabaret sordide. Cette observation de la France d’aujourd’hui avance comme ça, par petites touches subtiles, en sortes de vignettes-témoins d’une société pas très tendre envers ses arrivants. Et là, Isabelle Huppert excelle, elle l’habituée des rôles bourgeois. Elle donne corps à ce personnage de femme bafouée, maltraitée par ses pairs ; elle donne envie d’y croire. Tonino de Bernardi a eu cette idée, superbe, de lui donner le rôle d’une étrangère face aux "français", seule parmi eux à ne pas avoir d’accent. Jolie revirement : être étranger, finalement, est l’affaire d’un décalage avec le "chez soi", pas de nationalité.
Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
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