Retour aux sources
Il est vrai qu’après l’échec commercial de Ma vie avec John F. Donovan (2019) et une filmographie très dense (huit films en dix ans), Matthias et Maxime semblerait être une tentative de recentrage pour le cinéaste de maintenant 30 ans. Tout y ressemble : retour au pays québécois après l’exil américain, retour à la langue française, une histoire simple, à petit budget, tourné entre amis. Or, Matthias et Maxime s’avère sûrement être l’un des films les plus matures de Dolan.
Matthias et Maxime se connaissent depuis toujours. Plus que meilleurs amis, ils sont presque frères. Issu d’un foyer difficile, Maxime a quasiment été adopté par la maisonnée de Matthias. Et autour d’eux, une bande d’amis inséparables, hauts en couleurs et fidèles. Mais voici qu’à cause d’un pari, ces deux hétéros convaincus se voient contraints d’échanger un baiser; un baiser « de cinéma » pour le film de la soeur d’un de leurs amis. Le doute s’installe alors entre eux, chacun réagissant à sa façon.
Tel que dans Les amours imaginaires (2010) ou Mommy (2014), Dolan revient à une démarche très portraitiste de ses personnages, instaurant bien le cadre de ce baiser en cette chaude nuit d’été au chalet de Rivette, un des piliers de la bande. Si la lumière est très faible durant toute la soirée, la séquence du baiser est elle flamboyante, avec des couleurs criardes, un contraste de rouge/bleu pour encore plus opposer nos deux protagonistes. La caméra qui filme la scène nous cache la vue. Ce fameux baiser va être au centre des tourments du film et pourtant, nous ne verrons jamais à quoi il ressemble. Il est omniprésent, troublant, mais invisible. Comme si le cinéaste voulait amener le spectateur à penser « Pas de quoi en faire toute une histoire ».
On retrouve également le talent de Dolan pour les dialogues fusés où l’on se perd au milieu du brouhaha des amis qui se charrient, s’insultent dans un québécois local et parfois incompréhensible. Là encore, l’humour s’oppose à la gravité pesante des mots dans John F. Donovan, comme le français du Québec s’oppose à l’anglais standard.
Version améliorée
Là où l’on sent que le réalisateur a vraiment passé un cap de maturité, c’est sur la question qu’il pose par rapport à « l’anglophonisation » ridicule de ses voisins français avides de se donner des airs en rajoutant un surplus de vocabulaire anglais dans leur langage.
Cette moquerie légère s’incarne par la jeune étudiante en cinéma qui réalise le fameux film et qui semble caricaturer parfaitement la jeunesse adolescente de nos jours (« Je veux que ce soit impressionniste et…expressionniste. You know what I mean ? »).
La seconde question est encore plus profonde : Maxime, pensant qu’il n’a rien à perdre à changer de vie, décide de s’installer en Australie pour deux ans, bien qu’il parle mal anglais. Dolan casse brutalement un des clichés répandus selon lesquels les québécois parleraient parfaitement anglais, en plus d’une des tendances de cette génération à constamment vouloir s’exiler.
Cependant, Matthias et Maxime diffère quelque peu des précédents films de Dolan. En effet, le réalisateur nous avait habitué à des personnages forts à la réplique assassine et lui-même posait sur eux un certain regard cynique. Ici, ce qui est jouissif, c’est qu’il prend un risque en abandonnant ce cynisme et en abordant ses personnages avec davantage de tendresse et de compassion. Le cinéaste ne délaisse pas sa signature, il la transforme pour livrer quelque chose plus grand public.
Film intimiste
Alors que l’on adorait voir Xavier Dolan et Monia Chokri s’humilier mutuellement et se mettre des bâtons dans les roues pour atteindre Niels Schneider dans Les amours imaginaires, on est pris aux tripes par le déchirement que vivent Matthias (joué par Gabriel D’Almeida Freitas, une révélation !) et Maxime (Cela fait du bien de revoir Xavier Dolan jouer dans l’un de ses films). Evidemment, le cinéaste a toujours réussi à instaurer un attachement profond entre ses personnages et le spectateur, mais ici, le pouvoir d’identification est particulièrement puissant et est sublimé par l’image magnifique et elle aussi plus travaillée, de André Turpin qui accompagne Dolan depuis ses débuts.
La relation entre ces personnages est par ailleurs très intéressante car ils réagissent de manière diamétralement opposée à leur amour commun qu’ils n’osent s’avouer. Maxime, démuni, observe en silence un Matthias qui s’éloigne de lui, qui le repousse car extrêmement troublé par des sentiments qui selon lui, n’ont pas lieu d’être. Brillant avocat, il tient à garder une image propre, avec une petite amie dans un foyer sain. Il est le seul à qui ce baiser pose problème, comme lui font remarquer sa petite amie ou sa femme qui semblent être les seuls à déceler les raisons de son agressivité.
Ils cèdent finalement dans un garage lors d’une soirée, s’enlaçant fougueusement et tristement. Mention spéciale à ce magnifique travelling latéral, où un mur sépare deux mondes, fissurant ces amitiés ébranlées à jamais : des amis qui bravent la pluie battante pour récupérer du linge, et deux amants dans un instant rien qu’à eux, où le temps s’arrête. Le tout sur une magnifique bande-son signée Jean-Michel Blais.
Xavier Dolan a grandi et il le fait savoir avec Matthias et Maxime. Il sublime la force du cinéma qui réussit à faire d’un baiser caché toute la réflexion d’une génération assujettie à des conventions. Film de potes oui, mais aussi film universel.