1911, gravement malade, Gustave Malher (David Powell) retourne à Vienne. Dans le train qui le conduit vers son ultime destination, se revivent sous une forme opératique, les étapes et les tourments de son existence.
Après avoir fait ses gammes à la BBC dans une série de documentaires consacrés aux grands compositeurs et autres artistes (le format documentaire britannique incluant des scènes interprétés par des acteurs) : Debussy, Isadora Duncan, Richard Strauss…. , Ken Russell va avec le grand écran, disposer d’un médium à la hauteur de ses ambitions de mélomane. Si ses premières commandes puis une œuvre personnelle comme Love (1969) l’éloignent de cet univers, La Symphonie pathétique (1970) consacrée à Tchaïkovski, sera sa première symphonie. Malher (1974), sa deuxième.
Souvent décrié pour ses figures imposées, notamment pour sa forme en accent circonflexe -, le Biopic n’a pas attendu nos réalisateurs contemporains – contrairement aux arguments « artistico-marketing actuellement en vogue » – pour voir ses lignes brisées. L’imagination, l’audace ou la provocation, et surtout la maestria de Ken Russell font date. L’iconoclasme du metteur en scène affiche le fragile compositeur comme une Rock star, lorsque les circonstances lui permettent de faire effet. Caprice de vedette dans le train où son compartiment ne correspond pas à ses attentes, ainsi que dans les précieux moments où il daigne ouvrir la vitre pour accueillir les fleurs d’un public en liesse. De même Russell érotise son personnage, présenté, au bord du lac, dans un saillant costume, se pavanant devant une épouse follement éperdue de désir. Le visage émacié, le regard tantôt hypnotique tantôt survolté de David Powell en font un potentiel « mauvais garçon » qui aurait pu avoir sa place aux côtes des Rolling Stones ou dans la bande de garçons révoltés de Hair (Milos Forman).
Fantasmes outranciers de Ken Russel, qui, de nouveau après Dance of the Seven Veils (1979), convoque l’imagerie Nazie. Dénonçant par la même occasion l’antisémitisme dont fut victime régulièrement Gustave Malher, notamment lors de sa candidature pour le poste de directeur musical de la cour de Vienne. Le réalisateur profite également de son protagoniste pour régler ses comptes avec Luchino Visconti, dont il n’avait que très peu apprécié la mise en scène de Malher dans Mort à Venise (1971). Suggéré dans la scène où le regard méprisant de son Malher (Powell) se pose sur son double viscontien autour duquel virevolte un enfant blond, sous l’air mythique de la cinquième symphonie. À l’aune des deux metteurs en scène, le désir lutte contre la mort, le passé se pare d’une sensualité proustienne. Ken Russel multiplie les tableaux retraçant les années qui ont conditionné et inspiré celui qui « dirigeait pour vivre, et vivait pour composer ». La mise en scène mélange les inspirations. Se succèdent à un rythme virevoltant : des impressionnantes scènes macabres ; les feux de l’enfer et l’enterrement dans lequel le visage de Malher apparait hurlant derrière la vitre de son cercueil, des intermèdes grotesques voire psychédéliques pour rire du destin, ainsi qu’une période à l’atmosphère Dickensienne ; l’enfance du fils prodige, dont le père comptait bien profiter pour s’enrichir.
Flashbacks, envolées oniriques ou hallucinatoires, hymne à la nature et célébration des sens, Malher ne se laisse enfermer dans aucun registre. Le lâcher prise et l’imagination qui nous emportent dans le plus enivrant des tourbillons pourraient bien avoir en partie inspirés Kirill Serebrennikov pour La Femme de Tchaïkovski (2023).
Le Blu-Ray comporte deux bonus, indispensables pour situer l’œuvre de Russell dans son contexte. Un ces deux suppléments nous offre le plaisir de retrouver l’ un de nos rédacteurs emblématiques, Justin Kwedi, anciennement maître d’œuvre de notre Coin du Cinéphile, et aujourd’hui l’une des belles plumes d’ East Asia.
Malher-Sortie Blu-ray chez BQHL