Loving

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L’amour au temps du conformisme. Un film passable, une déception pour Jeff Nichols.

Établissons une règle, née d’un constat cinéphilique : tout film qui se conclut par « Inspiré d’une histoire vraie », « Bien des années plus tard les héros ont été reconnus à juste titre », « Grâce à leur courage, un grand pas en avant pour la liberté » et autres niaiseries hagiographiques, n’est pas un bon film. Loving ne déroge pas à cette règle. Pour la première fois de sa (brève) carrière, Jeff Nichols sacrifice la force des images au profit d’un discours on ne peut plus convenu sur le métissage dans le Sud ségrégationniste.
 
 

Où est l’amour dans ce discours ?

Grande absente au rendez-vous : l’amour. Étrangement, et malgré leur nom qui les y prédestinait, les Loving ne semblent guère amoureux l’un de l’autre. Hormis la très belle première séquence, pourtant si prometteuse, où Richard (Joel Edgerton) et Mildred (Ruth Negga) semblent séparés par un champ-contrechamp avant qu’un plan large ne les réunisse, de passion, on ne voit goutte.
 
C’est bien la routine conjugale qui apparaît à l’écran. Routine que Nichols, préoccupé par le récit du procès intenté à l’État de Virginie et au Sud raciste, ne cherche même pas à percer. Alors que dans Take Shelter (2011), le visage sévère de Michael Shannon suintait les angoisses apocalyptiques d’un père égaré, la figure impassible de Joel Edgerton ne dégage aucune émotion, ne trahit aucune faille. Le jeu mutique des acteurs de Jeff Nichols se retourne contre eux, en faisant de Richard Loving une caricature de redneck patriarcal et détestant les journalistes. Seule Ruth Negga, plus déterminée et plus sagace que son mari, malgré son obéissance, semble tirer son épingle du jeu.

L’amour se réduit donc à un simple casus belli contre l’arsenal judiciaire sudiste. La seconde moitié de Loving se fourvoie dans les clichés du film de procès : héroïsme des avocats, mâles et blancs, contre-plongée magnifiante sur le Palais de la Cour Suprême, présence sacrée des Juges à l’arrière-plan… Tout le gratin patriotique contre les méchants conservateurs du Sud, à grands renforts d’envolées lyriques au violon.
 

L’hagiographie contre la poésie

 
Comme beaucoup de biopics, Loving souffre de son caractère hagiographique. Trop solaire, trop monolithique dans son traitement des figures principales, trop manichéen au fond, le film ne constitue rien de plus qu’un nouveau récit exemplaire à la charge de la ségrégation et du racisme. Si, sur le plan idéologique, l’intention est certes louable (et encore, la lutte contre le métissage apparaît encore monopolisé par des avocats WHASP en lieu et place des militants afro-américains), l’aspect discursif du récit pèse sur les images de Jeff Nichols, pourtant habitué à saisir une certaine poésie fantastique de son Sud natal.
 
Contrairement à Take Shelter, Mud (2013) et Midnight Special (2016), les images de Loving ont perdu de leur étrangeté. Et gagné, malheureusement, en clichés : tel gros plan sur une fleur où papillonnent les papillons, tel plan large sur l’immensité du Sud nimbé par le soleil couchant… Rien de bien neuf dans l’imagerie du Sud américain.
 
Sans être un mauvais film, Loving se classe dans la catégorie immense des films passables, rapidement oubliés quelques semaines après leur sortie. Rien de bien grave pour un studio ; mais pour Jeff Nichols, une des révélations du cinéma d’auteur américain de ces dernières années, c’est une cruelle déception.
 

Titre original : Loving

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Durée : 123 mn


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