En affichant par intermittences une attitude gratuitement provocatrice, Gaspar Noé dessert quelque peu la vocation universelle de son sujet et la portée potentiellement salutaire de son intention originelle. Le cinéaste ne peut en effet s’empêcher d’introduire tout un cortège de clichés (le mode de vie bohème d’étudiants en art, où se croisent drogues, soirées arrosées, et furtifs coups de rein avec une inconnue dans les toilettes) amené à justifier des moments de pseudo-transgression, marques habituelles du cinéaste qui confinent ici à la complaisance pure et simple (d’un shoot à l’ayahuasca jusqu’à une tentative ratée avec un transsexuel, en passant par une éjaculation en gros plan accentuée par le relief). De même, la dimension autobiographique du projet, a priori tout à fait en phase avec le sujet, laisse circonspect, le film oscillant alors entre prétention et ridicule achevé. Dès que Gaspar Noé joue de sa personne, c’est par le biais de clins d’œil douteux et ringards, quand il ne fait pas ses propres louanges à travers les répliques du héros (un étudiant en cinéma qui s’insurge que personne n’ait eu le courage de réaliser un film porno avec des sentiments…).
Cette mélancolie qui irrigue le récit tout entier se voit quelque peu contredite par un traitement relativement distancié des protagonistes, trop souvent réduits à de simples enveloppes. On peine à ressentir les émotions qui imprègnent l’histoire d’amour pleine de bruit et de fureur du couple principal, qui vampirise pourtant la quasi-intégralité du récit (les personnages secondaires sont totalement sacrifiés). Le film souffre d’un manque d’incarnation psychologique, et c’est étrangement la dimension organique visée par le cinéaste qui s’en trouve affectée. C’est tout le paradoxe du film : ses personnages, bien que dévoilés physiquement sous toutes les coutures, manquent singulièrement de chair. À travers cette très simple histoire d’un amour qui se meurt, Noé entend postuler une sorte d’idéal réconciliateur entre le film-corps (la crudité de la représentation des ébats sexuels) et le film-cerveau (le récit tout entier comme intériorité du héros qui se souvient). Renouer dans un même geste avec le sensoriel et le mental, entre le passé qui s’éloigne et le présent condamné à le regarder partir – la beauté de Love réside dans cette intention, plus que dans son aboutissement presque trop théorique. La visée première du projet ne s’incarne réellement que dans ses ultimes minutes, s’achevant sur une longue étreinte où l’émotion donne enfin sa pleine mesure.