La fin du monde approche. La jeune Audry (Adrienne Shelly) n’arrête pas de le répéter à qui veut l’entendre alors pourquoi s’acharner à vivre ? Elle en tout cas passe son temps les yeux levés au ciel et attend que les bombes tombent sur sa ville. Si elle tend un peu l’oreille, elle arrive même à les entendre se rapprocher. Hal Hartley patiente jusqu’au dernier plan pour braquer sa caméra sur ce ciel hors-champ. Un ciel calme, un ciel d’été qui n’existe que quelques instants avant que l’écran noir ne vienne tout détruire. L’incroyable vérité du titre reste à jamais hors-cadre, comme si elle flottait au dessus de ses personnages pour se cacher d’eux. Hal Hartley dans son premier long métrage, construit dans une petite ville de banlieue new-yorkaise un univers entier avec ses propres frontières, ses habitants, son langage. Les photographes arrivistes s’y cachent dans les bars, les mécanos branchent leur guitare électrique dans les garages et les parents rackettent leurs filles. Quelque fois les portes de la ville s’ouvrent un instant et laissent rentrer un homme. Josh (Robert John Burke), ancien taulard, retourne chez lui après avoir purgé sa peine pour le meurtre du père de l’une de ses amies. Il ne boit pas, ne conduit pas et une fois rentré dans la ville, la question qu’on lui pose à tout bout de champ a tout d’une litanie : Vous êtes prêtre ? La fin du monde approche. Le temps serait-il venu de sauver son âme ?
L’incroyable vérité promise n’a en vérité que peu d’importance. Accusé d’un meurtre dont personne ne sait vraiment s’il est le coupable, Josh a purgé sa peine et essaye de renaître dans la ville où il a grandi. La vérité qui l’entoure, Hal Hartley n’en fait à aucun moment l’enjeu de son film. Tout ce qui concerne le jugement de Josh, son incarcération, est laissé aux portes de la ville. Hal Hartley pose sa caméra très près de ses acteurs et chaque scène ne vit qu’un instant. Dès que deux personnages se trouvent à l’intérieur du cadre, rien n’existe autour, rien de l’extérieur ne vient parasiter ce moment. Quand couchées dans l’herbe Audry et Pearl (Julia McNeal) regardent le ciel, encore une fois Hal Hartley ne nous renvoie pas le contre-champ des jeunes filles. En nous les présentant dans un cadre très serré, impossible de savoir exactement où elles sont : dans un pré, un parc, à l’extérieur de la ville ? Elles n’existent toutes les deux que durant les quelques secondes précaires de la scène. Elles vivent là et n’ont aucune idée de la vie qui existe autour d’elles. L’inconnu ne semble pouvoir venir que du ciel au-dessus de leur tête mais jamais du voisin qui vit à côté d’elles. Comment sortir de cette vie autarcique ? Hal Hartley ne donne que très peu d’horizon à ses personnages et quand ils peuvent s’échapper, ils loupent le coche – Audry ne veut pas quitter sa ville pour Harvard. Une voix extérieure va venir les tirer de là et provoquer la fin de leur monde.