L’horloger de Saint Paul

Article écrit par

Un cycle rétrospectif en salles consacre la quasi intégralité de l’œuvre de Bertrand Tavernier en versions restaurées deux ans après sa disparition. L’occasion de redécouvrir « L’horloger de St Paul », son tout premier long métrage, ouvrant la voie aux néo-polars
atmosphériques qui feront florès à la fin de la décade politiquement incorrecte des années 70 et au début des années 80. Analyse …

Tous mes romans n’ont été qu’une recherche de l’homme nu.” Georges Simenon

Dans L’horloger de St Paul, épaulé par les vieux briscards scénaristes de l’âge d’or du cinéma français que sont Jean Aurenche et Pierre Bost, Bertrand Tavernier transpose l’intrigue serrée du roman de Georges Simenon, l’horloger d’Everton, petite bourgade du Missouri, au cœur du Vieux-Lyon natal du réalisateur. La greffe prend subtilement et se révèle un trait de génie par sa justesse de ton en phase avec son temps puisque le film raflera coup sur coup le prix Louis-Delluc et le lion d’argent à Berlin. Le casting du réalisateur est judicieusement déterminant : face à un Jean Rochefort cynique, amer et compatissant, Noiret est criant de vérité avec sa mine de chien battu, sa dégaine mollassonne et sa sidération tranquille et presque bonhomme qu’il trimbale tout au long du film qui établira définitivement sa notoriété.

“La France de 1973 : 50 millions d’habitants et 20 millions de dénonciateurs”

Englué dans la torpeur provinciale d’une vie ordinaire, Michel Descombes (Philippe Noiret), modeste horloger de son état, veuf de surcroît, occupe le plus clair de son temps entre son atelier et l’appartement contigu qu’il partage avec son rejeton adolescent Bernard (Sylvain Rougerie) et les libations hebdomadaires qu’il s’octroie avec ses amis. Jusqu’au jour où l’inspecteur de police Guilbot (Jean Rochefort) brise sa quotidienneté routinière en lui annonçant que son fils a commis un crime à l’instigation de son amie Liliane (Christine Pascal).

D’entrée de jeu, le fait divers se prête aux présupposés socio-politiques quant aux motivations du crime bien que l’essentiel du film ne réside pas dans son élucidation mais bien plutôt dans l’abstraction du meurtre perpétré avec une volonté manifeste de dédramatisation qui semble vouloir imputer l’attentat criminel à un avatar sociétal.

 

 

La violence engendre la violence (Eschyle)

En 1973, La France post-soixante-huitarde est confrontée à une flambée d’agressions racistes qui désignent les immigrés maghrébins comme les boucs émissaires du chômage conjoncturel tandis que les ratonnades à leur endroit se multiplient. Le gauchisme n’est pas encore l’islamo-gauchisme mais l’exacerbation est palpable entre la mouvance de la gauche révolutionnaire et les groupuscules issus de l’extrême droite. La radicalisation de la violence est en phase avec une période électorale instable des législatives qui noue la trame du film de Tavernier dès ses prémices. Ainsi, la carcasse de la voiture qui brûle au générique déroulant en est une forme de théâtralisation ultime en plantant le décor de cette période délétère. Bertrand Tavernier filme une tranche de vie en forme de carte postale contemporaine dans une France de préfecture conservatrice d’où se détache le creuset lyonnais et sa topographie. Par exemple, à travers une bordée entre amis dans un estaminet qui refont un monde en mutation où les résultats des élections législatives sont le prétexte de parler de la peine de mort.


Dans les romans de Simenon, l’on envoie couramment chercher de la bière et des sandwiches et pas seulement dans les Maigret. Du reste, les repas sont là pour désamorcer une noirceur ambiante des plus oppressantes. Tavernier multiplie ainsi les notations impressionnistes et cinéphiles venant de sa part sur l’air du temps comme la mauvaise réception du film de Marco Ferreri: La grande bouffe qui aura marqué les esprits en son temps.

Par sa volonté de désamorcer la charge dramatique du fait criminel, l’œuvre transcende le genre du film policier. Les circonstances du meurtre sont opaques et un faisceau de preuves concordantes à charge accrédite la thèse du mobile criminel politique. Alors que l’avocat de la défense (William Sabatier) entend plaider en faveur d’un crime passionnel pour s’attirer la mansuétude du jury et minorer la sentence infligée. Le film fait d’ailleurs l’économie du procès tant la radicalisation du garçon indocile est actée dés le début et inspirée par le caractère ordurier unanimement prêté à sa victime archétypale : un contremaître d’usine dévoyé, ancien parachutiste connu pour son harcèlement sexuel acoquiné à un groupuscule d’extrême-droite.


La toile de fond du Vieux Lyon pittoresque

Dans L’horloger de St Paul, la focale en plan large de Pierre-William Glenn, le directeur de la photographie,
cadre et recadre inlassablement Philippe Noiret sur la toile de fond typique du Vieux Lyon, dans la perspective de ses quais, son dédale de ruelles étroites emmanchées les unes dans les autres et ses traboules pittoresques, vestiges du passé médiéval de la ville des Lumières. Semblable en cela au travail d’orfèvre- et l’horloger en est un autre dans son genre- qui consiste à emboîter minutieusement des engrenages mécaniques entre eux.

 

 

L’amour père-fils n’est pas un mouvement d’horlogerie

A l’acmé du film, le modeste artisan sidéré vient se recueillir avec ferveur devant l’horloge astronomique de la cathédrale St Jean et ses automates qui actionnent la cloche résonnant comme un glas pour ce père désabusé. L’amour père-fils n’est pas un mouvement d’horlogerie dont les rouages s’enclenchent tout naturellement sans grippage.

Si la violence engendre la violence, l’amour paternel se reconstruit à partir d’une compréhension plus intime.
Par-delà la lourde sentence prononcée pour l’exemple à l’encontre du fils immature, père et fils rompent leur incommunicabilité profonde au parloir de la prison en point d’orgue du film dans une promiscuité complice. Que Bernard, le fils maudit, ait appuyé ou non sur la détente importe peu au fond car c’est la société qui lui a tendu l’arme et l’a chargée pour lui. L’engrenage policier et judiciaire contribue paradoxalement à cimenter l’élan de réconciliation père-fils dans un ultime pied de nez aux institutions.

 

Outre L’horloger de St Paul, le cycle quasi intégral de l’oeuvre filmique de Bertrand Tavernier (13 films dans leurs versions restaurées 4K) comprend : Ça commence aujourd’hui, Capitaine Conan, Coup de torchon, Dans la brume électrique, Un dimanche à la campagne, La fille de D’Artagnan, La guerre sans nom, Le juge et l’assassin, Laisser-passer, La mort en direct, La princesse de Montpensier et Que la fête commence. Tamasa distribution et rétrospective Cinémathèque française.

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 105 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi