La fantaisie de Philippe de Broca s’était exprimée sur ses premiers films dans une veine encore imprégnée de la Nouvelle Vague. Sans réellement s’inscrire dans le mouvement, sa manière de dynamiter la romance et le marivaudage classique (Les Jeux de l’Amour et Le Farceur – 1960) s’inscrivait dans une même volonté moderniste. Avec Cartouche (1962), grand film d’aventure historique, on pouvait deviner le virage plus populaire qui allait libérer ses œuvres suivantes. L’Homme de Rio établit ainsi un pont idéal entre le De Broca des débuts et celui plus ouvertement grand public de la suite de sa carrière où l’énergie arty de la Nouvelle Vague se télescope à un horizon plus vaste, à l’évasion et la grande aventure. Le film naît au départ d’un projet d’adaptation de Tintin auquel est associé De Broca (après le départ d’Alain Resnais initialement envisagé) mais le réalisateur constate vite les limites d’une transposition littérale des cases d’Hergé et jette l’éponge. Plutôt qu’une vraie adaptation, il réfléchira à un récit original où il pourra mêler son propre ton à l’énergie et le style des aventures de Tintin. Un séjour à Rio en compagnie de Jean-Paul Belmondo pour la promotion de Cartouche impose immédiatement ce cadre dans son esprit pour le futur film et après une longue écriture en compagnie de son collaborateur habituel Daniel Boulanger et son ami Jean-Paul Rappeneau pas encore passé à la réalisation, L’Homme de Rio va progressivement voir le jour.
L’influence de Tintin est manifeste, que ce soit en terme visuel, narratif ou d’idées scénaristiques. Le vol d’ouverture de la statuette, la silhouette du voleur et le décor du musée de l’Homme ramène d’emblée à L’Oreille cassée. Les enlèvements et plus tard la quête des statuettes et la malédiction qui les entoure lorgne bien sûr vers le diptyque Les Sept boules de cristal/ Le Temple du Soleil. Le plus bel emprunt sera cependant cette énergie trépidante et vitesse du récit et de la même manière qu’Hergé pouvait nous emmener d’une Europe grisâtre aux contrées les plus exotiques en deux pages et maintes péripéties, De Broca quitte Paris pour le soleil du Brésil en vingt minutes d’introduction idéales. Dans une ligne claire narrative parfaite, toutes les informations et la caractérisation des personnages se fait dans un mouvement perpétuel jubilatoire. Cela va du plus explicite (le passé des savants, les trois statues) au plus subtil (le regard furtif et légèrement concupiscent de Jean Servais sur Françoise Dorléac qui permet de vaguement se douter de la suite à son sujet) et on devine la patte de Jean-Paul Rappeneau déjà si habile pour marier anarchie et construction rigoureuse. Le couple Jean-Paul Belmondo/Françoise Dorléac apporte la touche romantique vacharde et adulte qui rend l’ensemble si pétillant.
Plutôt que le mièvre Tintin, Belmondo serait plutôt plus proche d’un Capitaine Haddock juvénile avec ce héros franchouillard et râleur voué à deux seul but, sauver sa fiancée et être rentré à temps de sa permission à Paris. C’est vraiment dans ce film que naît « Bebel », le héros casse-cou et gouailleur mais plutôt que le rouleur de mécanique indestructible des années à venir, sa silhouette frêle et élastique apporte vraiment ce côté bd/cartoon irrésistible le faisant se relever de toute les chutes, riposter aux adversaires autrement plus imposant. Françoise Dorléac est adorable en demoiselle en danger capricieuse et les échanges orageux du couple en pleine action sont un régal de bout en bout. De Broca nous promène dans un Brésil 60’s envoûtant dont il visite avec autant de brio l’urbanité moderne (avec son lot de bâtiment aux designs high tech) que les plus grouillants et festifs milieux populaires mais aussi une nature dépaysante et bariolée (le côté BD n’étant pas oublié là non plus tel ce crocodile factice attendant Belmondo lors de son atterrissage en parachute). De Broca multiplie les péripéties et environnements avec une inventivité rare, ne fatiguant jamais grâce à des respirations comiques ou gags en pagaille (la voiture rose à étoiles vertes !).
Ce mouvement perpétuel reprend également le principe de ligne claire qui guide le script. On constatera que dans sa poursuite effrénée, il suffira toujours à Jean-Paul Belmondo de foncer droit devant lui pour rattraper les méchants ravisseurs de Françoise Dorléac. A moto, en voiture, à pieds ou en avion, Bebel ne fait que suivre une ligne droite où même lorsqu’il les perd de vue, ceux qu’il recherche se retrouveront forcément tôt ou tard dans son champ de vision. Cela souligne la détermination de notre héros et inscrit une fois de plus le film dans cette facette bd où l’on est destiné à se retrouver quelques cases plus tard. Un univers de tous les possibles où le réalisateur ose les transitions les plus incohérentes (la séquences des lianes à la fin) et les faux-raccords en pagaille sans que cela ne gêne tant l’on sent que c’est l’énergie et le mouvement qui comptent (ces expérimentations évoquant justement la Nouvelle Vague). Comme toujours, ce côté foutraque alterne avec la vraie élégance et recherche formelle dont est capable De Broca avec ces compostions de plan splendides des décors où déambule notre couple et la photo ensoleillée de Edmond Séchan. Le dépaysement est total et le bonheur constant tout au long du de cet Homme de Rio qui inspirera tant Spielberg pour Les Aventuriers de l’Arche Perdue et que De Broca conclut sur une note sobre et amusée idéale sur les notes enfin apaisées de George Delerue qui peut laisser s’exprimer sa mélancolie.