Les Oiseaux : Hitchcock Versus Du Maurier ?

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Daphné Du Maurier écrit une nouvelle intitulée « Les Oiseaux » qui fut publiée en 1952. Hitchcock, qui avait déjà travaillé avec Du Maurier auparavant pour ses films La Taverne du Jamaïque et Rebecca, décida en août 1962 d’adapter « Les Oiseaux ».

En réalité, Hitchcock voulait depuis longtemps adapter cette histoire, mais a longtemps pensé qu’elle était impossible à transposer à l’écran. Ainsi, on peut se demander si le personnage de Norman (Psychose), dont le passe-temps favori était d’empailler des oiseaux, ne préfigurait pas l’envie d’Hitchock de faire un film où les personnages principaux seraient des oiseaux. Evan Hunter, quant à lui, pensait que l’histoire avait un bon potentiel cinématographique et fut engagé afin d’écrire le script. Hitchcock ordonna à Hunter d’abandonner tous les éléments de la nouvelle, mis à part le fait que les oiseaux attaquent ; cependant le film paraît reprendre beaucoup plus de ce classique de Du Maurier que les simples attaques des volatiles.

Partie 1 : Le remodelage des personnages

Pour Hitchcock, le personnage principal du film devait être… les oiseaux eux-mêmes ; et il refusa de capituler quant aux demandes salariales de son protagoniste idéal, à savoir Cary Grant, car il pensait que les personnages humains n’étaient que secondaires. Dans le film, les personnages humains sont les victimes, des proies mobiles, qui n’ont pas tant d’intérêt que cela. Les situations autour des personnages (amour, conflit…) ne sont là que pour « divertir » le spectateur pendant l’attente d’une prochaine attaque. L’espoir du réalisateur de revoir Grace Kelly à Hollywood fut lui aussi vain. En effet, elle avait arrêté sa carrière suite à son mariage avec le Prince Rainier de Monaco ; Hitchcock avait pourtant tout tenté pour la faire revenir à Hollywood. Il décida d’engager le mannequin Tippi Hedren et un acteur presque inconnu, à savoir Rod Taylor.

Les personnages diffèrent entre le film et la nouvelle, mais conservent certaines ressemblances. Par exemple, la femme de Nat Hocken dans la nouvelle devient Lydia Brenner (Jessica Tandy), personnage caractérisé par sa sympathie pour les enfants, et sa fille Jill est représentée par Cathy Brenner (Veronica Cartwright). Les personnages sont remodelés afin de bien correspondre aux attentes d’un film hollywoodien. Ainsi, si Hitchcock, ou Hunter, avait conservé la famille telle qu’elle, il n’y aurait pas eu de place pour des scènes d’amours par exemple.

On notera enfin que Les Oiseaux, dans la filmographie d’Hitchcock, se situe entre Psychose (1960) et Pas de Printemps pour Marnie (1964). Le principal point commun entre ces trois films est le rôle tenu par le personnage de la mère. Dans les trois films, il y a une mère dominante voire possessive.

Au final, on pourrait constater que les personnages sont modifiés pour plaire à Hitchcock et in fine à l’industrie hollywoodienne. Ce sont les personnages de Nat Hocken et de Mitch Brenner qui se ressemblent le plus, car ils jouent le rôle de protecteurs.

Partie 2 : Des influences différentes

Une autre raison qui explique les changements intervenus lors de la transposition à l’écran de la nouvelle vient du fait que les deux versions ont des influences différentes.

Du Maurier avait simplement écrit son histoire après avoir vu un fermier au travail dans ses champs, aux Cornouailles, et qui était entouré de mouettes. Elle imagina ce qui se passerait si les oiseaux devenaient tout à coup hostiles. Une autre inspiration fut la Seconde Guerre Mondiale, car les oiseaux représentent les bombes et deviennent la métaphore de l’incapacité de l’homme à se défendre contre des attaques d’une telle envergure. Elle donna ainsi à son histoire un sentiment pacifique en opposition à la Guerre froide, qui avait débuté en 1949, et qui faisaient de nouveau planer la menace d’évènements proches de ceux du Blitz sur Londres.

Hitchcock, quant à lui, ne voulait pas se focaliser sur cet aspect de Guerre froide, un thème qu’il abordera par la suite dans Le Rideau Déchiré (1966) et L’Etau (1969). Hitchcock voulait seulement se concentrer sur les oiseaux. Par conséquent, Hitchcock est allé chercher d’autres inspirations que celles de Du Maurier. Le 18 août 1961, le Santa Cruz Sentinel publia un article sur les évènements qui se déroulèrent au cours de la nuit du 17 au 18 dans la petite ville californienne de La Jolla. A trois heures du matin, des oiseaux attaquèrent soudainement les maisons, les voitures, les lampadaires et descendirent dans les cheminées. A l’aube, des oiseaux morts gisaient dans les rues et de nombreuses personnes pansaient les bleus et les plaies causés par les attaques. Hitchcock a alors décidé de mélanger l’histoire de Du Maurier avec les événements qui avaient eu lieu à La Jolla.

Une autre inspiration pour Hitchcock fut le récit de Nicolas Bourne, datant du 17ème siècle, The Wonderful Battel of Starelings, fought at the Citie of Corke, in Ireland, the 12th and 14th of October 1621, dans lequel Bourne raconte comment des milliers d’oiseaux s’étaient réunis aux deux extrémités de la ville de Cork, en Irlande, avant de s’attaquer les uns les autres dans un combat fratricide et irréel ; les témoins racontèrent qu’il « pleuvait des oiseaux ». Apparemment, des événements semblables se seraient produits au-dessus de la Tamise, à Londres, à la même période. On rapporta que les oiseaux attaquaient à des moments précis et de manière précise ; on considérait aussi que les oiseaux avaient une intelligence supérieure à la moyenne.

Partie 3 : Une oeuvre fidèle malgré tout

Malgré une différence flagrante au niveau des influences, une vérité s’impose : la quasi-totalité des événements de la nouvelle sont repris, puis modifiés et même amplifiés volontairement par Hitchcock.

Le lieu de tournage est la Californie, aux paysages parfois proches de la campagne anglaise, similitude qui fut l’une des raisons principales lors du choix de Hitchcock. Le cinéaste voulait en effet donner un aspect « british » aux décors de son film. La baie marine de Bodega est peuplée de mouettes (les oiseaux qui tiennent la tête d’affiche de la nouvelle), et on peut aussi penser que Bodega ressemble à la petite ville de pêche de La Jolla, près de Santa Cruz, qui fut le lieu des événements étranges d’août 1961.Cependant, Du Maurier fut déçue de voir que les évènements se déroulaient outre-atlantique.

La ferme résidentielle près de laquelle habitent les personnages de la nouvelle est aussi présente dans le film. Et les personnages vivant à la ferme sont dans les deux cas tués par les oiseaux. Dans la nouvelle, le fermier parle de fusiller les oiseaux et dans le film, un vendeur crie, dans le bar de Deke: "Get yourselves guns and wipe them off the face of the earth" ("Prenez des armes et effacez les de cette terre").

Dans la nouvelle, Nat part chercher sa fille à l’arrêt de bus en attendant son retour de l’école et il dit à ses camarades de classe de rentrer chez eux le plus vite possible ; ensuite, lui et Jill sont attaqués et se demandent si les autres sont parvenus à rejoindre leurs foyers. Dans le film, Melanie (Tippi Hedren) part chercher Cathy à l’école et, elles et le reste de la classe, sont attaqués par les oiseaux. Avant que Jill n’arrive à l’arrêt de bus, Nat téléphone à partir d’une cabine afin d’alerter les autorités du l’imminence du danger. Melanie, quant à elle, se retrouve coincée dans une cabine téléphonique pendant que la ville est attaquée.

Dans le bar de Deke, "The Tides" ("Les Marées"), on discute les raisons plausibles des attaques, on fait même référence aux événements de La Jolla. Le nom du bar peut-être vu comme une référence directe à la nouvelle de Du Maurier car dans la nouvelle, Nat pense que les oiseaux attaquent seulement lorsque la marée est haute. On peut alors penser que la réponse à leurs questions se trouve sous leur nez. Les personnages, dans les deux versions, écoutent la radio pour tenter d’avoir des informations ; cependant, il y a là une grande différence car dans la nouvelle, les attaques sont parvenues jusqu’à Londres, tandis que dans le film, les attaques se déroulent seulement dans la baie de Bodega (et à la fin, on ne sait toujours si les attaques se sont propagées à San Francisco, où des oiseaux s’étaient regroupés en début de film).

Partie 4 : La maison, fil conducteur de l’intrigue

Le principal point commun entre la nouvelle et son adaptation cinématographique réside dans le rôle qu’occupe la maison.

Dans les deux cas, les personnages principaux se sont barricadés à l’intérieur de leur foyer afin d’éviter l’entrée des oiseaux. La maison devient dans les deux cas le refuge et l’endroit de sécurité. La cheminée joue aussi un rôle important dans les deux versions car Nat oublie de rajouter du bois sur le feu, ce qui permet aux oiseaux de rentrer par la cheminée. Cependant, dans le film, Hitchcock décide d’aller jusqu’au bout en laissant les oiseaux sortir par la cheminée et attaquer Melanie et la famille Brenner. La cheminée est une entrée cachée et les personnages oublient facilement qu’il est possible pour les oiseaux d’y descendre.

Dans la nouvelle, Nat monte les escaliers et découvre que les oiseaux ont réussi à percer une entrée dans la chambre des enfants, et il décide de ne pas alarmer sa famille en tenant sa découverte secrète. Dans le film, Melanie est confrontée à la même situation lorsqu’elle découvre que les oiseaux ont réussi à entrer dans le grenier ; Hitchcock, avait décidé de la faire entrer dans la pièce où elle est attaquée. Dans les deux cas, les personnages découvrent que la maison n’est pas infaillible et qu’elle ne peut servir de refuge que pendant un temps limité seulement. Il faut alors que les personnages s’échappent afin de survivre.

La maison sert de fil conducteur aux deux versions de l’histoire, elle est l’endroit où les attaques des oiseaux prennent le plus d’intensité, conférant aux œuvres respectives un aspect de huis-clos tendu.

Partie 5 : Le dénouement

La fin de la nouvelle ressemble à celle du film : dans les deux cas, les familles décident de quitter leur foyer afin d’échapper aux oiseaux.

Dans la version de Du Maurier, Nat se prépare à subir une nouvelle attaque, espérant que celle-ci soit la dernière et que les oiseaux arrêteront leur œuvre de destruction ; mais il conserve à l’esprit la possibilité d’une évasion vers le Nord. Dans la version de Hitchcock, on ne sait pas plus si les oiseaux lanceront une nouvelle attaque ou s’ils ont décidé d’arrêter.

Hitchcock voulait donner aux oiseaux une véritable personnalité, en rendant presque l’impression, à la fin de son film, qu’ils réfléchissent et discutent de leur « tactique » pour leurs prochaines attaques. Le script de Hunter (qui n’a pas été filmé car Hitchcock voulait passer à autre chose) est d’avantage suggestif, il montre la famille quittant son foyer et traversant la ville qui est entièrement détruite. La famille est alors attaquée, et les oiseaux parviennent à percer le toit de la décapotable de Melanie avant que les personnages ne réussissent enfin à leur échapper. La fin de Hunter ressemble à l’esprit de la nouvelle, elle montre toute la difficulté à échapper aux attaques des oiseaux, métaphore qui donne tout son sens à la nouvelle, puisque celle-ci, comme nous l’avons vu, voulait montrer la difficulté pour l’homme d’échapper à une attaque de grande envergure.
Conclusion

Dans l’ensemble, le film diffère seulement de la nouvelle dans son déroulement et dans la caractérisation de ses personnages. L’histoire n’a en apparence en commun que les attaques des oiseaux, mais à y regarder de plus près, converse plusieurs éléments primordiaux de la nouvelle. Hitchcock, qui fut en quelque sorte en perpétuelle quête de reconnaissance, voulait que toutes les idées de ses films soient considérées comme les siennes. Il décida de s’approprier la nouvelle plutôt que d’en faire une transposition fidèle, qui aurait porté in extenso l’estampille "Du Maurier".

Une nouvelle version cinématographique de l’histoire devrait voir le jour prochainement, et selon upcominghorrormovies.com, le film serait plus proche de la nouvelle que ne l’était la version de Hitchcock.

Bibliographie

  • McGilligan Patrick, Alfred Hitchcock: A Life in Darkness and Light, New York, Wiley, 2003

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