Les Hors-La-Loi, Tewfik Fares, 1968

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Premier film algérien en couleur, Les Hors-La-Loi évoque la volonté d´indépendance des Algériens durant la colonisation, mais se noie dans une partialité de propagande.

Le nom de Tewfik Fares n’évoque aujourd’hui pas grand-chose à nos oreilles. Seuls les cinéphiles les plus avertis connaissent son activité de réalisateur, producteur et scénariste. Tant pour la télévision que pour le cinéma, son ambition a toujours été orientée vers la constitution de la mémoire à travers des portraits de personnalités (L’abbé Pierre, ou La colère de l’amour, 1991, André Maginot, 2002) ou de lieux (Voyage à Tombouctou, 1994, L’adieu au charbon, 2003 sur la fermeture des mines en Lorraine). Très tôt au cinéma, il est venu interroger l’identité algérienne face à la colonisation. Fares est plus connu, et reconnu, comme scénariste que comme réalisateur. Ses scénarios reçurent de nombreuses récompenses durant les années 1970 : Le Vent des Aurès (M. Lakhdar-Hamina, 1966) reçoit le prix du meilleur scénario à Cannes en 1967 et Chronique des années de braise (M. Lakhdar-Hamina, 1975) la Palme d’or.
 
Avec Les Hors-La-Loi, il souhaite montrer les origines de la Révolution algérienne à travers trois personnages victimes de l’oppression des colons. Ambition tout à fait louable, notamment à une époque (1968) où le pays célèbre sa fraîche indépendance. Malheureusement le ton et les moyens employés décrédibilisent totalement le film qui sombre dans une partialité souvent à la limite du ridicule et ne sert en rien la « cause » du réalisateur. A travers le destin de son héros Slimane, Fares entend symboliser la condition du peuple algérien. Il en fait donc une sorte de cowboy au regard de braise. Le western est clairement la référence du film. Fares ne s’en cache pas : « Comme cinéaste, j’avais envie de faire un film qui me permette ces grandes actions, cette espèce d’évasion dans un décor, dans un paysage, dans cette sorte d’appel de l’aventure, et je voyais ça, techniquement comme un challenge. […] À la réflexion, il m’a semblé qu’il y avait ici aussi, chez nous, une possibilité pour ce genre cinématographique. » Mais on ne peut même pas parler d’adaptation ou de transcription du genre américain au cinéma algérien tant on en est dans une pâle imitation. En termes de décor, cela fonctionne parfaitement. Les plaines et montagnes d’Afrique du Nord dans laquelle un cheval s’emballe et fait s’envoler la poussière, c’est splendide.
 
Mais dépassé les quelques, et rares, qualités visuelles, le film s’effondre tant par sa mise en scène pastiche (tension = gros plan sur des fronts en sueur et des regards noirs) et scénario manichéen (Slimane vs méchants colons, Slimane vs pègre locale). Ces oppositions rapprochent plus le film de Zorro contre le sergent Garcia que de Cheyennes de Ford (1964, l’un des premiers westerns à adopter le point de vue des Indiens). D’ailleurs le découpage du film l’apparente à celui d’une série ou d’une histoire à épisodes : l’aventure d’un héros intouchable qu’on aurait plaisir ( ?) à retrouver d’épisodes en épisodes. Les séquences se suivent juxtaposées les unes aux autres sans pour autant former un tout : le héros déserteur, la revanche du héros, le héros venge son village… Ce qui fait qu’au bout d’une heure quarante, le film s’arrête, mais pourrait continuer encore et encore (mais il est bien terminé, rassurons le lecteur). Dernier détail qui ajoute encore au ridicule. Quelles que soient les situations, notre héros est toujours pimpant. Même après s’être caché plusieurs jours dans la forêt, son brushing est parfait et son gilet blanc immaculé. Sans parler de l’inévitable romance expédiée en deux plans.

Mais pire que cette mise en scène bancale et caricaturale, c’est le sens donné à la libération de l’Algérie. Il faut bien l’admettre, on suit dans ce film la trajectoire d’un héros à qui cela ne pose aucun dilemme moral de tuer un homme. Donné aux autorités françaises par le Caïd, Algérien considéré comme un traitre à son pays, le premier acte de Slimane en s’évadant sera de se venger de cet homme et de le tuer. Ce qui engendre une escalade de violence et pousse les fils du Caïd à eux-mêmes vouloir se venger. Ils tomberont eux-aussi sous les balles du « héros ». Certes on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, ni de révolutions sans victimes, mais faire du symbole de la libération un peuple, une brute sans états d’âme et surtout fonder cette révolution sur un désir de vengeance est plus que douteux. Finalement si on décompose l’intrigue, on sent dans tout le film une opposition nette entre l’établissement de la justice et le désir de vengeance. Alors oui, cette justice est le fait des colons et est donc vécue comme une oppression par les Algériens. Mais la non-légitimité du pouvoir en place ne rend pas défendable le recours à la violence pour assouvir sa vengeance personnelle, en lieu et place de l’émancipation d’un peuple. L’ultime phrase pourrait donner une lueur d’espoir sur le sens à donner au film. Les dernières paroles reviennent aux autorités françaises qui décrivent le héros et ses deux adjuvants comme des hors-la-loi, titre du film. En effet, ils le sont et leurs actes sont répréhensibles. Le réalisateur met-il cela en avant ? Non, bien sûr que non. Il s’explique : « Les personnages sont pris dans l’époque coloniale. Ils sont pris en tant que refusant de subir la loi coloniale. J’apporte une précision au titre : Les Hors-la-loi, ça veut dire hors de la loi coloniale. »
 
Il est bien dommage d’avoir gâché un si beau sujet. Du désir d’Indépendance algérien, nous n’aurons rien appris dans ce western grossier. Le dossier de presse parle de « western couscous ». Bien préparé, c’est un plat excellent. Ici, il est indigeste.

Titre original : Les Hors-la-loi

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Durée : 95 mn


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