Les Hommes du président (All the President’s Men – Alan J. Pakula, 1976)

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Troisième volet de la « paranoïa trilogy » d’Alan J.Pakula, « Les Hommes du président » met en images les investigations des journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein ayant conduit à la démission de Richard Nixon en 1974.

Les Hommes du président d’Alan J. Pakula sort en 1976, deux ans après la démission le 8 août 1974 du président Richard Nixon, des suites de l’affaire du Watergate, sur lequel le film revient. Une banale histoire de cambriolage au siège du Parti démocrate, dans l’immeuble du Watergate, confiée à une nouvelle recrue du Washington Post, Bob Woodward (Robert Redford), se révèlera être, sous la plume d’un duo complété par Carl Bernstein (Dustin Hoffman), le plus gros scandale politique de l’histoire des États-Unis.

L’œuvre cinématographique s’appuie sur le scénario de William Goldman, qui obtiendra l’Oscar bien mérité (Pakula lui demandera de le réécrire à maintes reprises) de la meilleure adaptation, l’une des quatre statuettes que le film remportera en 1977. Inspiré de l’ouvrage éponyme des deux journalistes du Post, dont Robert Redford achètera les droits à sa sortie en 1974 et à propos duquel il révélera plus tard avoir demandé aux auteurs d’insister davantage sur leurs investigations dans leur rédaction. Alan J. Pakula en fera de même dans sa mise en scène. Woodward et Bernstein projettent l’image de parfaits détectives, qui se comprennent à demi-mot – les comédiens apprennent leurs dialogues respectifs afin de pouvoir s’interrompre avec naturel – et finissent par convaincre Ben Bradlee, le rédacteur en chef du Washington Post (Jason Robards, qui lui donne vie à l’écran, obtient l’Oscar du meilleur second rôle pour son interprétation, qui stupéfiera Bradlee lui-même tant il la trouvera crédible). Le responsable de la rédaction exige de ses journalistes confirmation par des sources probantes des informations qu’ils détiennent. Pakula rapporte ainsi les conflits éditoriaux qui ont secoué la rédaction du Washington Post en filmant les débats lors des conférences de rédaction et les différentes rencontres entre Woodward, Bernstein et leurs supérieurs hiérarchiques.
 
 

 

Les hommes du Post contre les hommes du président

Le film s’ouvre sur l’arrivée en hélicoptère de Nixon, qui doit s’adresser au Congrès américain. Des images d’archives de la télévision sont utilisées, comme pour mieux ancrer les faits qui seront rapportés par la fiction qui démarre dans la réalité de l’actualité des Américains, dont la moitié ignore à l’époque à quoi renvoie le « Watergate » mais en connaît déjà les conséquences à la sortie du film. Le cinéma des années 1970 est influencé par un souci de réalisme né de l’apparition de la télévision, qui a mis en exergue l’approche docudrama (relater des faits qui se sont produits). Oliver Stone – de Salvador (1976) à JFK (1991) -, John Frankenheimer pour Un crime dans la tête (The Manchurian Candidate – 1962), Sept jours en mai (Seven Days in May 1964) et Black Sunday (1977) et Pakula, entre autres, l’adopteront dans la fiction en se servant des techniques du cinéma-vérité (notamment le jump cut, qui permet de réunir des séquences tournées dans des angles différents), qui confèrent sa véracité au film et le rapprochent du rythme des images d’actualités. C’est d’ailleurs par le biais du petit écran que les images d’archives s’invitent régulièrement dans Les Hommes du président pour étayer l’intrigue et répondre à la fiction, qui lève le voile sur le miroir aux alouettes qu’était alors le présent, les fameuses archives. La forme sert ici un enjeu de taille : tenir en haleine une audience qui connaît déjà la fin de l’histoire. C’est au nom de la vraisemblance que Alan J. Pakula reconstitue entièrement la rédaction du Washington Post, au point que Ben Bradlee s’est alors cru dans son propre bureau sur le plateau du tournage- le film a par ailleurs obtenu aussi l’Oscar récompensant la direction artistique. Dans la revue ABA d’août 1990, où il évoque le tournage du film, Alan J. Pakula confiera que pour lui, le réalisme des décors inspire les acteurs – huit d’entre eux ont obtenu des Oscars sous sa direction – et capte l’audience.

Cinéma-vérité, voire « journalisme-vérité » selon certains, sont l’expression d’une grande maîtrise technique qui permet à Pakula de raconter le Watergate d’abord par le biais de séquences d’entretiens téléphoniques. Parmi elles, le mémorable plan-séquence de Bob Woodward au téléphone avec Kenneth Dahlberg, qui dure environ six minutes et a été tourné par Gordon Willis, le directeur de la photographie, avec un split diopter permettant de faire un focus en même temps sur le premier plan et l’arrière-plan. Par le biais également de conversations insolites et de mythiques rendez-vous dans des parkings, tels ceux de Bob Woodward avec Deep Throat, « Gorge profonde », dont l’identité sera révélée en 2005. La source qui confirmait les découvertes de Bob Woodward était Mark Felt, le directeur général adjoint du FBI à cette époque. Les rencontres entre les deux hommes s’effectuent dans un parking, mais alors que le visage de Redford n’est jamais voilé, celui de Hal Horbrook – choix unanime de la production et de la réalisation pour incarner Mark Felt – l’est toujours. Outre le lieu choisi pour renforcer la dramaturgie, Pakula accentue avec ces effets d’optique le mystère qui entoure le personnage.
 
 

 

La pratique journalistique sublimée par la cinématographie

Porté par ses stars, le scénario complexe de Les Hommes du président mêle vérité historique et contraintes dramaturgiques. Pakula tente néanmoins de fournir dans ce maelström de noms et de faits dont fourmille le film des repères narratifs et visuels aidant à dissiper le brouillard qui entoure aussi bien les journalistes que les spectateurs. Conformément à la réalité, deux révélations majeures rythment l’intrigue de Pakula. D’abord, l’existence de fonds secrets liés à la Maison Blanche et gérés par le ministre de la Justice de Nixon, John Mitchell, qui ont permis de financer une collecte d’informations sur les démocrates. Ensuite, le fait que des proches du président américain aient orchestré une vaste campagne de sabotage et d’espionnage contre les adversaires du républicain Nixon en vue de sa réélection. Ces éléments permettent d’établir le lien entre la Maison Blanche, qui tente à plusieurs reprises d’étouffer l’affaire, et les cinq cambrioleurs du Watergate, dont certains ont été rémunérés par les fonds gérés par Mitchell. À l’écran, Pakula choisit de marquer ces révélations capitales avec une répétition. Chaque fois, un individu se rend à la Maison Blanche avec la une du Washington Post sur son siège avant. Dans la panoplie technique, Pakula joue aussi des prises aériennes, qui font par exemple paraître Woodward et Bernstein au sortir de la bibliothèque de la Maison Blanche comme des pions sur un échiquier, des prises transversales et des travellings.

Au sein de la filmographie d’ Alan J. Pakula – disparu dans un accident de voiture en 1998 -, Les Hommes du président constitue le troisième volet de sa paranoia trilogy (trilogie de la conspiration), comprenant aussi Klute (1971) et À cause d’un assassinat (The Parallax View, 1974). Dans ce dernier film, c’est un autre journaliste, incarné par Warren Beatty, qui découvre un complot. Journalisme et complot politique, voilà les deux pistes qu’explorent Pakula dans Les Hommes du président, que la production aurait d’abord voulu confier au Britannique John Schlesinger. Pour beaucoup, le film porte moins sur le Watergate que la pratique journalistique. Ce qui expliquerait peut-être que le 77e plus grand film du cinéma américain, selon l’American Film Institute (AFI) en 2007, soit régulièrement projeté dans les écoles de journalisme. De même, selon le célèbre critique américain Roger Ebert, la force de Les Hommes du président réside moins dans son pouvoir narratif que dans ses prouesses techniques. Nommé dans la catégorie du meilleur film lors des Oscars, il sera supplanté par Rocky (John G. Avildsen, 1976) malgré sa deuxième place au box office derrière Vol au-dessus d’un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo’s Nest – Miloš Forman, 1975). Cependant, le quatrième Oscar décroché par le film, celui du son, renvoie à la symbolique d’un film politique majeur et chef-d’œuvre du cinéma de conspiration, car il récompense entre autres choses une illusion, sonore cette fois-ci : ce que l’on croit être uniquement des crépitements de machines à écrire dans les génériques de début et de fin sont en réalité des crépitements d’armes. Des armes, c’est bien ce que sont devenus les mots de Bob Woodward et de Carl Bernstein dans l’affaire du Watergate.

Titre original : All the President's Men

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Durée : 138 mn


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