Les Diaboliques (1955)

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Le diable est dans les détails, et le Mal dans la société.

« Une peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu’elle donne l’horreur des choses qu’elle retrace. » La citation des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly, en exergue du film, donne le ton des Diaboliques de Clouzot. À la suite du romancier fin-de-siècle, le cinéaste dresse au travers d’une histoire sordide le sombre portrait d’une société matériellement prospère, mais moralement malade.

La peinture morale de la société

Dans une bonne partie de la mémoire collective française, les années 50 restent associées au joyeux souvenir des fifties, au cours desquelles arrivent en France la musique et le cinéma américains, que prennent leur essor les futures stars de la chanson française, et qu’enfin se dissipe le mauvais rêve de l’après-guerre. Chez Clouzot, rien de tel. L’optimisme béat ne trouve pas sa place dans un univers au noir plus prononcé que le blanc.

Les changements sociétaux qui font la renommée de la décennie ne révolutionnent pas les structures sociales profondes. La complicité de Christina (Vera Clouzot) et de Nicole (Simone Signoret) dans l’assassinat de Michel Delasalle (Paul Meurisse), respectivement époux et amant des deux femmes, met en lumière la solide puissance du patriarcat ; malgré l’ignominie du personnage, qui n’hésite pas à frapper et à voler ses compagnes, celles-ci, pour s’en séparer, n’ont d’autre choix que le meurtre.

Car même dans une société qui aime faire la fête, on doit cacher ses sentiments. La répression psychologique bourgeoise continue d’opprimer les esprits, pour le plus grand bonheur des hommes : menacées de scandale, Nicole préfère dissimuler les coups que Michel lui inflige chaque soir, et Christina abandonne son désir de divorce. Il y a quelque chose de pourri dans cette hiératique société française ; et c’est cette pourriture, ce déclin moral, que Clouzot saisit.
Parce que la décadence amène nécessairement le changement. Et celui-ci vient des femmes, en particulier d’une : Nicole Horner/Simone Signoret. Coupe à a la garçonne, voix grave et assurée, indépendance économique, amour libre : la moderne Signoret est celle par qui arrive le scandale, celle qui convainc la prude et pieuse Christina à commettre le crime. Elle est la « diabolique », la tentatrice, mais dans un sens positif : par elle émerge une nouvelle force sociale, à même de renverser l’ordre établi en affichant ouvertement la satisfaction de ses désirs.


Poéthique des objets
Pour capturer la pourriture morale, Clouzot se sert des objets comme autant de révélateurs de l’état d’esprit général. La bouteille qui contient le vin empoisonné destiné à Michel, deux fois filmée et sous deux angles différents ; le briquet de Michel que l’on retrouve dans la piscine où l’on a jeté son corps, et d’où celui-ci a disparu ; la photo de classe sur laquelle semble planer l’ombre du cadavre en cavale… Autant de gros plans qui isolent et auréolent d’une lueur maligne des objets-clefs de l’intrigue.

On peut qualifier de poéthique des objets la mise en scène des angoisses et des révélations dans Les Diaboliques. Les nombreux gros plans sur des objets surgissent et brisent l’illusion d’un espace unifié ; comme si le regard des personnages ne découvrait pas l’objet, mais le faisait émerger, le rendait habité. Autour de ces quelques objets se construit la tension des scènes charnières : le regard de Christina rencontrant par deux fois l’arme du crime, son visage effaré lorsqu’on lui présente le briquet de son mari mais pas son corps…

Les objets des Diaboliques condensent les fantasmes de chaque acteur du drame. Fantomatiques, ils réfléchissent les angoisses d’une société psychologiquement réprimée, auxquelles ils donnent une forme concrète. Dans la société de consommation naissante, le Mal n’a rien de transcendant : immanent, il vit dans et par les objets qui nous peuplent. 

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