Les Deux amis

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Louis Garrel filme l´histoire d´une amitié glissant inexorablement vers l´inimitié. Beau, drôle et gentiment littéraire.

Vincent, figurant de cinéma, est fou amoureux de Mona, vendeuse dans une sandwicherie de gare. Mais celle-ci préfère écarter son prétendant car elle garde un secret : chaque soir, elle rentre dormir en prison. Désemparé par le comportement étrange de Mona, Vincent va s’en remettre à son unique ami, Abel, pour la conquérir.

Dans Les Deux Gentilshommes de Vérone, Protée a ses mots sarcastiques en réponse à Valentin, ami de toujours devenu rival : "En amour, qui donc respecte l’amitié ?" Cette réplique, quoi qu’un brin acerbe eu égard à la camaraderie cahoteuse qu’entretiennent Clément et Abel dans Les Deux amis, pourrait à elle seule condenser la trajectoire du premier long métrage de Louis Garrel. Mais ce dernier inscrit son film dans le sillon d’un théâtre classique d’abord français, malgré les analogies avec la veine comique d’un Shakespeare. Désireux d’éprouver cette thématique rebattue qu’est l’histoire d’amour à trois bandes, le cinéaste a pensé Les Deux amis comme une adaptation libre des Caprices de Marianne, d’Alfred de Musset. En lieu et place du duo Coelio-Octave, figurent Clément et Abel, le premier sous l’emprise d’un amour irrépressible, l’autre, libertin mais aimant, tout en calcul bienveillant. La configuration est quelque part la même que dans la pièce originale, si ce n’est que le chagrin d’amour tient plus ici de la bouffonnerie neurasthénique que du véritable drame. Et qu’à l’instar d’un Christophe Honoré – ici coscénariste – avec La Belle Personne (2008), l’on conjugue un grand classique de la littérature au présent.

L’on pourrait croire, à première vue, que Louis Garrel ne se contente avec Les Deux amis que d’un poussif – et trop attendu – croisement entre sa passion pour le théâtre, le legs de ses parents et son amour pour la Nouvelle Vague. Mais son film, simili descendant de Chansons d’amour (2007) et Le Mariage à trois (2010), par ailleurs nouveau triangle amoureux après son court-métrage La règle de trois, est un peu plus que ça. Évidemment, son ouverture enchâssée entre quatre murs rappelle au souvenir de sa mère, Brigitte Sy, la réalisatrice de L’astragale (2015) et Les mains libres (2010). Où il était déjà largement question de prison – d’ailleurs, les innombrables barreaux disséminés en surimpression des protagonistes dans Les Deux amis ne cessent de métaphoriser cette thématique de l’enfermement : c’est que Mona, Clément et Abel sont trois prisonniers, captifs, outre de l’amour, du regard des autres. Alors certes Louis Garrel – personnification d’un certain héritage du cinéma français – ne se refuse ni les clins d’œil aux marivaudages de son père ni à la Nouvelle Vague. Ses personnages en semblent même tout droit sortis, avec d’un côté Abel, écrivain raté à ses heures pompiste dans un garage à la Jacques Demy, ou Mona, femme libre et trop belle – "la beauté, ça complique tout", préviendra Abel – dansant dans un bar telle Anna Karina dans Bande à part (Godard, 1964). Mais aussi Clément, figurant professionnel les embarquant tous deux au beau milieu d’une reconstitution de Mai 68 qui évoque avec malice Innocents (Bertolucci, 2003) ou Les Amants Réguliers (Philippe Garrel, 2005).
 

 
Mais plutôt que de se contenter d’un bel hommage, Louis Garrel déconstruit avec une minutie foutraque son petit univers figé. Exit le héros ténébreux "Saint Germain dépressif" qui lui collait à la peau et place à l’auto-parodie. Paris a beau être filmé en 35 mm et la musique être signée Philippe Sarde, la métamorphose n’en est pas moins limpide. "Pourquoi tu fais tout le temps la gueule ? Tu penses que ça te donne l’air profond ?", demande à son avatar une fille croisée en boîte de nuit. Comme s’il était question de rompre avec cette tradition rive gauche nostalgique et quelque peu poussiéreuse, Louis Garrel botte en touche. En découle quelque chose de très drôle et contemporain, symbolisé à merveille par Vincent Macaigne, trait d’union de la jeune génération du cinéma français. Et même s’il est encore une fois question d’une ixième variation sur l’amour à trois, le principal sujet n’est pas tant le récit amoureux que l’histoire de deux potes dont l’amitié vire à la rivalité, quelque part entre César et Rosalie (Sautet, 1972), Marche à l’ombre (Michel Blanc, 1984) et Laurel & Hardy. C’est ainsi que la séparation des deux amis, filmée avec une énergie débordante, apparaît surtout comme une rupture amoureuse. Tour à tour hilarant et infiniment mélancolique, Les Deux amis regorge de scènes instantanément cultes. On se souviendra longtemps des soliloques poilants de Vincent Macaigne, de la transe impérieuse de Golshifteh Farahani dans un bar au beau milieu de la nuit, et surtout des mensonges déchirants de Louis Garrel. Fourberies qui ne sont pas sans rappeler une citation attribuée à François Truffaut : "à partir de 19h, je ne voyais plus que des femmes". Comme si le mensonge, irrésistible, s’emparait des cœurs une fois le crépuscule venu. Tout ça, au fond, a quelques allures de fable et c’est pourquoi l’on entend dès le début du film résonner La Fontaine : "Ami, rien n’est plus commun que le nom, rien n’est plus rare que la chose."

Titre original : Les Deux amis

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Durée : 100 mn


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