Les désarrois de l’élève Törless

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Au revoir les enfants…

Violence gratuite

C’est la rentrée dans la campagne autrichienne du XIXe siècle et de jeunes hommes sont amenés à leur école militaire privée. Au sein de cette école trois adolescents de 15 ans, Törless, Beineberg et Reiting, vont punir un de leurs camarades, Basini, que l’un d’eux a lui-même poussé à la faute en l’incitant à commettre un vol. Ils le soumettent ainsi au bizutage, puis à la torture. Soit une violence allant croissant à mesure que leur victime se laisse faire, et autour de laquelle se structure le récit. Adapté du roman de Robert Musil, c’est ainsi dans un monde froid et impitoyable que nous projette Volker Schlöndorff, qui signe ici son premier chef-d’œuvre. La première intelligence de son intrigue étant d’avoir ôté toute forme de précision ou de spécification des origines sociales des élèves (origines que l’on perçoit malgré tout au travers de leur attitude). Un choix aussi induit par l’usage de l’uniforme qui permet de renvoyer les raisons sociologiques de la soumission de l’élève torturé, dans le hors-champ. Ce qui a pour conséquence de rendre la violence qu’il subit d’autant plus gratuite et intolérable.

Violence neutre

L’autre intelligence scénaristique de l’œuvre consiste en ce qu’elle est construite via le point de vue d’un des trois persécuteurs, l’élève Törless, dont la particularité réside en ce qu’il ne participe jamais directement aux sévices, pour se contenter d’observer les choses. La raison de son observation provenant du fait qu’il soit, tel un entomologiste, curieux quant au seuil de tolérance à la douleur et à l’avilissement de la victime, et de l’inventivité de ses camarades bourreaux quant aux supplices appliqués. Ainsi projeter dans cet univers par ce point de vue, le public se voit, par effet miroir, poussé à questionner la place de son propre regard, en tant qu’individu et en tant que spectateur de cinéma, et des responsabilités qui en découlent. En regardant de façon (soi-disant) neutre des actes aussi immoraux, le film démontre que c’est en partie les cautionner et, ce faisant, y participer. Un aspect renforcé par la conscience du personnage quant au mal dont il est témoin, mais dont les états d’âme s’effacent du fait de l’effet de meute.

Violence militaire

L’origine de cette violence d’élèves se jetant tels des loups avides et gourmands, sur un bouc émissaire dont le crime est avant tout, dans le fond, d’être différent (outre le fait qu’il soit sans doute de condition modeste, il est aussi probablement homosexuel) provient aussi de l’espace dans lequel ils évoluent. Un espace rendu particulièrement froid et cru grâce à l’usage du noir et blanc et d’une lumière pâle et blanchâtre. Un éclairage mettant d’autant plus en avant le caractère lugubre du décor (l’école est un ancien château) dont l’austérité témoigne d’une violence rentrée typique de l’environnement militaire. Un environnement où l’enseignement des professeurs passe par l’inculcation de l’ordre et de l’obéissance. Un aspect militariste qui est perpétuellement rappelé au spectateur au travers du personnage de professeur unijambiste (jambe probablement perdue suite à la guerre franco-prussienne de 1870) dont la scarification témoigne de la violence des guerres passées comme futures, et au travers des uniformes des étudiants. Des vêtements qui, tout en taisant l’origine sociale des élèves, les dépersonnalisent et renforcent l’esprit de corps ; facilitant ainsi leurs dés-individualisation, et agissent comme le prélude à leur dés-humanisation.

Violence pulsionnelle

Qui plus est, au sein de cette ambiante glaçante, Volker Schlöndorff a beau jeu de focaliser l’attention du spectateur, par le biais d’inserts ou deux gros plans, sur des échanges de regards entre élèves lourds de sens, pour signifier les pulsions réfrénées, notamment sexuelles. Des pulsions primaires rendues d’autant plus violentes et brutales qu’elles sont contraintes par la rigidité du milieu et de la société hyper codifiée. Un instinct primaire qui se transforme ainsi en pulsions violentes et morbides se déversant sur le bouc émissaire. Un bouc émissaire dont l’acceptation de la condition et du nouveau rôle au sein du groupe, celui de souffre-douleur, parachève de perturber et d’oppresser le public, peut-être plus encore que les séances de tortures mises-en-scènes.

Violence rythmique

Ces séances de torture voient leur brutalité renforcée par l’absence de musique à ces instants. De façon générale, l’alternance de moments de silence et moments de vacarme dus aux bruits produit par les groupes d’étudiants donne un rythme brisé à l’œuvre ; cela immerge avec d’autant plus d’efficacité le spectateur dans un milieu infernal où la violence psychologique se joint à la violence physique. L’une se nourrissant de l’autre et vice versa. Cette violence omniprésente, comme le déraillement logique de la psyché d’individus supposément éduqués et cultivés, est aussi exprimée par la musique, par l’usage d’instruments rudimentaires (aux antipodes de la musique cinématographique traditionnelle). Autant d’instruments servant à créer une musique primitive en accord avec les pulsions des étudiants et une fois encore à contre-pied de leur environnement aseptisé. Un contre-pied musical utile pour souligner la perte de contrôle de l’agressivité qui, une fois relâchée, ne peut qu’aller crescendo.

Violence historique

Les désarrois de l’élève Törless étudie ainsi, comme le fera plus tard Michael Haneke avec son Ruban blanc, et dans la lignée du M le maudit de Fritz Lang (l’aspect physique du bouc émissaire n’est d’ailleurs pas sans évoquer celui de Peter Lorre) les mécanismes menant à la dés-humanisation et à la banalisation du mal. Tous les acteurs, issus de castings sauvages et dont la juvénilité renforce la perversion de leurs actes, sont merveilleux de naturel et de spontanéité. Une spontanéité et un naturel (entrant là encore en contradiction avec la rigidité de leur milieu) contribuant à la puissance de l’atmosphère empoisonnée du film. Très perturbant, Les désarrois de l’élève Törless est une œuvre intemporelle qui s’intéresse à la mécanique de la déshumanisation, de la hausse de la violence et de la sauvagerie, de la perte des repères moraux et psychologiques, en une phrase : aux origines du totalitarisme.

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Durée : 87 mn


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