Les Crimes de Snowtown

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L’arrivée charismatique d’un tueur en série dans l’Australie d’en bas. Au menu : de la misère, du sang et des relations troubles.

Faites entrer l’accusé

Justin Kurzel livre un premier long métrage, alimenté par une série de meurtres. Dans les années 90, de macabres découvertes secouent la petite ville australienne de Snowtown. Le nom de Bunting acquiert une lugubre notoriété. L’homme est à la une des faits divers. Il est accusé de onze meurtres. Le film suit son parcours, dans la petite commune, perdue au milieu de nulle part. Seuls des nuages gris planent au-dessus de Snowtown. Autour des maisons gravitent un bric-à-brac d’objets abandonnés et de la taule froissée évoquant le sentiment de désertion. Le réalisateur dresse un tableau sombre de cette ville et de ses habitants. Misère sociale, violence et abus sexuels jalonnent la vie de Jamie, ses frères et sa mère. Et, au milieu de leur quotidien abject, apparaît enfin leur sauveur : John Bunting. Mais ses mains sont maculées de sang.

Attendu comme le messie

Le film de Kurzel se démarque, non pas dans sa description détaillée et insoutenable des homicides, mais dans la relation complexe entre Bunting et Jamie, personnage complètement paumé et en quête d’une figure paternelle. Le serial killer arrive comme un sauveur dans l’univers déchu de l’ado esseulé et faiblard. Il le prend sous son aile, lui confectionne des petits plats, partagés avec les autres membres de la famille. Il le défend aussi, à sa manière, contre son voisin pédophile. La confiance s’instaure à coups de cornets de glaces et de sourires bienveillants. Mais le rictus est le propre du diable. Dans sa cuisine, Bunting ne se contente pas de préparer une petite purée pour les oisillons de sa compagne. Kurzel parvient à apporter une singularité à la psychologie de son meurtrier. Il filme aussi les sentiments de l’adolescent avec un regard pointu, au détour de petits détails. Ainsi, un plan sur un seul crâne rasé s’avère efficace pour pointer l’ascendant du tueur sur Jamie. La crainte et la subordination supplantent l’admiration de l’ado pour Bunting d’une manière trouble. Le cinéaste australien suggère parfaitement bien ce brouillard, autour des sentiments de Jamie.

Du goudron, des plumes… et du sang

Les Crimes de Snowtown expose également le tableau effrayant d’une justice populaire, construite autour de bières, partagées entre des habitants reclus dans la misère. Dans un séjour à la tapisserie terne et démodée, le tueur en série asseoit son autorité, déverse ses amalgames et son discours homopobe auprès de la communauté. Lorsqu’il ne découpe pas des cadavres, Bunting revêt son habit de prêcheur de la violence, adepte de l’autojustice. Le meurtrier prétexte vouloir faire le ménage, autrement dit, de débarasser la société de ses parias (junkies, pédophiles, homosexuels…. Tous dans le même sac !), pour cogner et assouvir sa soif de sang. L’intérêt du film réside également dans cette emprise terrifiante qu’opère le personnage sur son entourage, ainsi que dans la dénonciation de cette justice dont les fondements sournois ne reposent que sur de la haine.

Le film s’enlise dans le glauque au cours de sa dernière partie (âmes sensibles, s’abstenir). Mais, au-delà du détail sordide, ce sont l’influence d’un monstre auprès d’un ado déboussolé et son insertion réussie dans une communauté qui ne manqueront certainement pas de faire froid dans le dos.

 

Titre original : Snowtown

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Durée : 120 mn


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