Les Amants passagers

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Une déception assez vive, dont on espère qu’elle restera une simple parenthèse dans la carrière d’Almodóvar.

On avait laissé Pedro Almodóvar en 2011 sur un beau film transgenre maquillé en film de genre : La Piel que habito. Sans constituer l’apogée de son style – à chercher plutôt du côté de Parle avec elle (2002), voire de La Mauvaise éducation (2004) – ce film grave marquait un point d’orgue dans une trajectoire entamée depuis La Fleur de mon secret (1995), transmuant la fantaisie ludique et bigarrée des débuts en spirales néo-hitchcockiennes et ressassements fantasmatiques toujours à la limite du maniérisme, mais d’une maîtrise formelle à peu près totale, troubles et brûlants comme des confessions. Avec La piel que habito, s’il n’allait pas vraiment plus loin dans le traumatisme dermique et la mélancolie morbide que Georges Franju dans les Yeux sans visage (1959), Almodóvar y allait résolument, et à sa manière, ce qui suffisait à captiver.

Or, le réalisateur madrilène nous revient deux ans plus tard avec un film tout à fait différent, une sorte de pied de nez à tous ses thrillers et mélodrames antérieurs, un retour assumé à la source vive et pop de son cinéma, mais dépourvu de l’énergie, de l’inventivité, de la folie provocatrice de Femmes au bord de la crise de nerfs (1988) ou de Talons aiguilles (1991), pour ne citer que ceux-ci. Les couleurs chatoyantes n’y font rien : Les Amants passagers n’ont à proposer que du réchauffé, ne choqueront personne, se contentent d’arracher des sourires au détour de quelques répliques qui tombent à plat faute de tempo, de conviction peut-être aussi. Si bien que ce film mal construit, mal rythmé, mou et paresseux, ne décolle que par intermittences grâce à quelques saillies verbales, voire plastiques, suite auxquelles il vole de nouveau au ras des pâquerettes – certes sans réellement se crasher. Si tout n’est pas à jeter, il demeure impossible de se satisfaire de cette trajectoire médiane et médiocre à laquelle le cinéaste ne nous avait guère habitués.

La déception est d’autant plus vive qu’on aurait réellement voulu aimer ce film, qui promettait une légèreté roborative, une acidité cathartique apte à prouver la désormais hypothétique bonne santé du réalisateur, prêt à se ressourcer après l’accomplissement de ses derniers longs métrages. Non qu’on éprouve, en fait, la moindre antipathie pour ces Amants passagers. Mais l’expérience est si peu substantielle, si oubliable, qu’on ne parvient pas à ressentir d’attachement ni de rejet vis-à-vis de ces personnages à moitié croqués, ne retenant l’attention que par fragments. Comme si le film avait été mutilé.

Qu’a-t-il donc bien pu se passer ? On dirait qu’après quasiment deux décennies d’œuvres belles et graves rompant avec son extravagance colorée d’antan, Almodóvar a plus ou moins consciemment fait le choix d’une régression, d’une part pour relâcher la pression et se faire plaisir – il en a bien le droit – mais aussi, et c’est plus fâcheux, par dépit, afin de remettre les compteurs à zéro et tirer une croix sur les déceptions manifestes, quoique relatives, infligées par l’absence de récompense majeure pour ses derniers films (notamment la Palme d’or cannoise, souvent pronostiquée, jamais décernée).

Pour se consoler, on peut supposer qu’en réaction à ces déconvenues persistantes, il aurait pu y avoir pire que cette farce faussement gaie, cette bouderie fatiguée, découragée mais sans doute provisoire : Almodóvar aurait pu totalement verser dans l’embourgeoisement, via une nouvelle recherche entêtée et mortifère de respectabilité qui se serait enlisée dans le maniérisme. Au lieu de quoi, cette mauvaise passe, qui est un peu un coup pour rien, n’abroge pas forcément tout espoir pour la suite de sa carrière, et pourrait signaler, qui sait, l’imminence d’un nouveau départ. Il n’est pas rare qu’ayant fait le tour de leurs obsessions, des cinéastes retrouvent une seconde jeunesse au détour de la soixantaine (tels Hitchcock ou Buñuel, deux références avouées d’Almodóvar). À suivre, donc.

Titre original : Los amantes pasajeros

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Durée : 90 mn


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