Les 39 Marches s’affirme comme une sorte de mètre étalon du thriller hitchcockien que le réalisateur revisitera tout au long de sa carrière. Tour à tour pour l’égaler un peu plus tard avec Jeune et Innocent, en donner des relectures moins brillantes mais efficaces dans La Cinquième colonne ou carrément le transcender pour La Mort aux trousses évidemment.
On trouve ici pour la première fois la figure de l’accusé à tort avec un Robert Donat fuyant les autorités à travers l’Ecosse et l’Angleterre suite au meurtre d’une jeune femme l’impliquant dans une étrange affaire d’espionnage. Le "McGuffin" si cher à Hitchcock repose sur des informations secrètes destinées à être transmises à l’étranger dont on ne connaîtra jamais les tenants et les aboutissants, si ce ne sont les ennemis à la mine patibulaire traquant le héros. On n’y prêtera d’ailleurs attention qu’à la toute dernière partie tant on se trouve emporté par la course effrénée de Donat.
Sacrifiant tout au rythme et aux péripéties, Hitchcock ne conserve que les temps forts du roman de John Buchan pour nous entraîner dans un tourbillon de rebondissements improbables. Tout réalisme est sacrifié au profit d’une efficacité narrative maximale, et Hitchcock use de l’ellipse avec un aplomb irrésistible, poussant la suspension d’incrédulité à des degrés inédits pour l’époque. L’instant le plus marquant dans cette veine serait le moment où Donat vient se dénoncer au commissariat, après l’avoir vu se faire mettre les menottes, la séquence suivante le montre s’éjectant par la fenêtre du bâtiment et détaler sans que l’on sache vraiment comment il a pu se libérer des liens d’acier.
Les idées visuelles brillantes pleuvent (tel le cri de la femme de ménage découvrant le cadavre se confondant dans le montage avec le bruit de la locomotive sortant du tunnel lors de la séquence suivante) et le scénario se montre des plus inventifs dans ses différentes péripéties. La rencontre d’une jeune femme mariée et d’un fermier bourru, grenouille de bénitier, offre un aparté étonnamment poignant. Autre grand moment, Donat qui s’enhardit lors d’un discours politique afin d’échapper à ses poursuivants et surtout les irrésistibles moments de screwball comedy entre lui et la revêche et charmante Madeleine Caroll. Flegmatique et décontracté, Robert Donat en héros traqué est excellent et le couple formé avec Madeleine Caroll certainement un des plus emblématiques de la filmographie de Hitchcock.
La conclusion en apothéose est également annonciatrice de la suite avec son climax dans une salle de spectacle qui sera repris en plus virtuose dans L’Homme qui en savait trop, deuxième version. Hitchcock ose une résolution aussi grotesque dans l’idée que géniale dans l’exécution, un sacré tour de force. Influence majeure du thriller moderne, c’est aussi la preuve à l’heure où l’on ne cherche qu’à vanter des vertus de « réalisme » dans un certain cinéma de divertissement que le talent de narrateur et des personnages forts transcendent toutes les supposées incohérences.