A peine sortie de la projection en grandes pompes au festival de Berlin (où le film a remporté l’Ours d’Argent), l’équipe de There will be blood s’est arrêtée à Paris pour s’exprimer sur cette oeuvre aux qualités inattendues. Devant un parterre de journalistes unanimes quant à la réussite de ce petit bijou, les comédiens Daniel Day-Lewis et Paul Dano, ainsi que le réalisateur Paul Thomas Anderson se sont prêtés au jeu des questions-réponses.
Comment travaillez-vous pour obtenir une telle intensité à l’écran ? Avez-vous une sorte de cuisine personnelle ?
Daniel-Day Lewis : L’expression est bonne, une cuisine personnelle, peut-être qu’il faut mijoter tout ça… Mais non, je n’ai pas de recette, ce n’est pas une science exacte. Il y a certaines choses qu’on doit apprendre, mais le plus important reste de travailler son imaginaire. Ce travail se nourrit de lui-même, et c’est presque une bénédiction de ne pas pouvoir définir ce travail. Il y a toujours un mystère. On peut jouer sans arrêt le même rôle, sans avoir la garantie de trouver ce qu’on cherche au final. C’est ma façon fort longue de ne pas répondre à votre question !
Comment vous-êtes vous emparé du livre d’Upton Sinclair pour en faire quelque chose d’aussi personnel ?
Paul Thomas Anderson : C’est difficile de jeter un regard objectif sur ce travail qui, au départ, était un vrai chaos. Vous parlez de cuisine, mais la mienne au départ, était sens dessus dessous ! J’ai toujours regardé l’auteur comme un collaborateur, mais je ne me suis pas senti obligé de respecter à la lettre le roman. Au moment où je me suis rendu compte qu’il y avait plus de bonnes scènes que de mauvaises, je me suis dit qu’on pouvait y aller. Mais vous savez, quand on passe autant d’années sur une même histoire, on ne peut s’empêcher d’y mettre beaucoup de soi-même.
Qu’est-ce qui au-delà du script, vous a attiré dans ce film ?
Daniel Day-Lewis : (pointant du doigt le metteur en scène) Lui. Lui, quand je l’ai rencontré, je me suis dit que c’était un fou comme moi avec lequel j’avais envie de passer un peu de temps !
Comment avez-vous travaillé avec Jonny Greenwood (le compositeur du film) ?
Paul Thomas Anderson : Je l’ai rencontré plusieurs fois avant le tournage, à Londres, et il me disait à chaque fois « non », mais d’une manière un peu hésitante. Il n’avait jamais fait ça avant. Mais il a tout de même fait quelques démos sur son temps libre, il est devenu plus confiant. De fait, il est quand même compositeur résident à la BBC, il travaille déjà avec des orchestres. Nous avons travaillé environ un an sur la musique et il a adoré ça, il adore donner à des instruments des sons qu’ils ne devraient pas faire. Je lui ai demandé s’il serait prêt à le refaire, et il m’a dit oui, ce devait donc être une bonne expérience pour lui.
Paul Dano, vous aviez déjà travaillé avec Daniel Day-Lewis, comment voyez-vous votre personnage, et que pouvez-vous dire de votre relation avec Daniel ?
Paul Dano : Pour moi, c’est une sorte de combat, d’abord le combat intérieur de Daniel Plainview, et un combat entre Plainview et Eli, basé sur le pouvoir, qu’il s’agisse de pétrole ou de religion. Ce sont des personnages qui se répondent, il était important de parvenir à un équilibre. Il me fallait en tant qu’acteur parvenir à refléter cet équilibre, en y ajoutant ma patte personnelle. Je dois dire que j’ai essayé de rendre la vie de Daniel Day-Lewis impossible, et une de mes grandes joies d’acteur a été de pouvoir lui filer quelques bonnes claques ! (rires)
D’où vient selon vous la haine que porte Daniel Plainview envers les gens ? Est-ce un signe annonciateur de sa folie ?
Daniel Day-Lewis : Je pense savoir d’où vient sa haine, mais je n’ai pas vraiment besoin d’en parler. Cela représente peut-être un des points qui vont lui faire perdre contact avec le monde, mais cette capacité lui a aussi permis d’arriver là où il en est et, à ce stade de sa vie, il n’y a pas vraiment besoin qu’il change d’opinion. Mais mon travail n’est pas d’être objectif, si vous me le demandiez, je vous dirais qu’il est juste complètement fou !
On sent une grande solitude chez ce personnage, qui n’a pas de vraie famille. Pour le créer, aviez-vous besoin aussi de solitude ?
Daniel Day-Lewis : Non, il y a parfois un certain besoin d’isolement, mais cela ne peut pas être utile dans ce cas. Ce sont les rencontres qui ont un intérêt. Mon travail n’a aucune valeur s’il n’y a pas de collaboration avec l’oeuvre, d’alchimie avec mes collègues. En ce qui concerne Plainview, quelqu’un m’a suggéré que le corps continuait à vivre après que son âme soit partie, et je crois qu’à un certain moment, après toutes ces années passées à chercher du pétrole dans le noir, au fond de la terre, celle de Plainview est partie. Son corps continue juste à exister, mais il a perdu toute forme de sentiments.
Au début comme à la fin du film, on pense beaucoup à Stanley Kubrick. Ressentez-vous une filiation avec le travail du cinéaste ?
Paul Thomas Anderson : Je ne sais pas si je parle pour tout le monde, mais nous aimons tous Kubrick, je crois ? C’est un idéal de cinéma, et il est difficile de faire un film qui ne doive rien à Kubrick. Mais je ressens la même chose pour Robert Altman (NDLR : à qui le film est dédié), ce sont les deux metteurs en scène dont j’aurais aimé qu’ils soient encore là pour refaire des films.
Upton Sinclair n’est pas aussi connu en Europe qu’aux Etats-Unis. Quelle est sa place dans cette culture anglo-saxonne, et essayez-vous d’être au cinéma ce qu’il fut à la littérature ?
Paul Thomas Anderson : Vous voulez dire moins connu en Europe qu’aux Etats-Unis ? (rires) Non, en fait je ne connais pas Sinclair si bien que ça. Il a écrit une centaine de romans et nouvelles, sa femme l’appelait même « la machine à écrire ». Certains sont plus connus que d’autres. « Oil ! » n’est pas son plus connu, il n’y avait donc pas d’attente à respecter au niveau de l’adaptation. On pouvait jouer avec, voler les meilleurs moments, et en laisser d’autres de côté. Mais non, je n’ai pas cette ambition d’être son équivalent, je ne suis pas « une machine à écrire ».
D’où vient cette envie de montrer l’église sous cet angle aussi pessimiste ?
Paul Thomas Anderson : J’ai passé beaucoup de temps à l’église quand j’étais jeune. Parfois j’aimais ça, mais la plupart du temps, je m’ennuyais plutôt. J’ai des sentiments partagés sur la question. Que dans le film, Eli ait eu la Foi ou non, à la fin, il est évident pour moi qu’il l’a perdue.