Joachim Lafosse procède avec son dernier film à l’auscultation sensible de la fin d´une « maison couple ».
L’Economie du couple est un film à tiroirs, à l’image de son titre polysémique : "l’économie" peut signifier à la fois un pécule, un moyen de gestion, mais aussi, plus largement, un système d’échange et de circulation. L’ensemble de ces définitions est au cœur du long métrage, qui suit la laborieuse séparation de Marie et Boris, contraints, pour des raisons financières, de continuer à vivre sous le même toit avec leurs deux filles. Dans une sorte de variation sur le couple et le foyer familial, par le biais de l’intime, de La Mise en scène de la vie quotidienne – La Présentation de Soi (1959) du sociologue Erving Goffman, Joachim Lafosse saisit les mouvements et gestes de chacun comme autant de rites et stratégies permettant aux personnages de se positionner et de déterminer leurs interactions : dans la préparation du repas, à l’occasion de l’achat d’une paire de baskets pour les enfants ou dans le retranchement d’une chambre où l’on peut souffler et être soi-même.
Il circonscrit son œuvre et ses enjeux au sein de la maison, lieu de représentation et scène de théâtre, huis-clos producteur d’espace : celui de développement du couple filmé et de sa fin ; lieu métaphorique ou objet d’un pragmatisme financier, mais aussi porteur de partage émotionnel. On entre dans le film, alors que Marie ouvre la porte de la maison, pour n’en ressortir que lorsque la séparation sera définitive. C’est dans cette maison compartimentée que les deux parents livrent bataille : elle a payé la maison, il l’a rénovée. Marie voudrait que Boris parte, celui-ci refuse, faisant valoir son investissement personnel, obstinément logé dans une partie bien délimitée de leur lieu de vie, ne devant pas déroger aux jours attribués pour s’occuper de leurs filles. Un tel sujet était déjà au centre du premier long métrage du cinéaste, Folie privée (2004), implacable récit d’une séparation où l’un des conjoints ne pouvait/voulait se résoudre à quitter le domicile.
A travers une suite de plans-séquences captés à la steadycam, L’Economie du couple alterne entre une fluidité en forme de ballet, qui exprime avec justesse l’élan de vie propre au quotidien de cette famille, et une insistance qui assène des coups de tensions larvées et d’amertume, étouffe, donne le tournis. C’est dans ce mélange que germe la grande subtilité du film, où se logent des sentiments amoureux en fin de course englués dans un construit commun, bourré de beaux et puissants affects tout autant que de lancinants ressentiments ; ambivalence traduisant une zone émotionnelle parfois indiscernable. Une scène de danse familiale vient symboliser, à la fois avec délicatesse et stridence, l’émotion d’un lien qui fut mais n’est plus, même si raccordé aux deux petites filles.
A cet égard, que Joachim Lafosse ait choisi des jumelles pour incarner les enfants de Boris et Marie, n’est pas sans intention : la gémellité de Jade et Margaux ne peut que renvoyer à l’Idée de fusion du couple, dont on ne sait si elle est utopique ou même souhaitable, mais qui ici ne marque que davantage les différends entre les parents. Le film aurait peut-être gagné à supprimer quelques poussées et étirements dans certaines de ses scènes (face aux amis, face à la mère de Marie) mais, porté par la profonde sensibilité de Bérénice Béjo et Cédric Kahn, il touche, malgré son sujet, par sa belle pudeur. Constituant sans doute, paradoxalement, l’œuvre la plus porteuse d’espoir du cinéaste, comme la partie d’un jeu à deux de longue haleine, aux adversaires et partenaires tenaces, mais finalement débarrassée de rancune.