Le spectre du chat, Paranoiac, Meurtre par procuration : trois thrillers psychologiques de la Hammer

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Proposés par Elephant dans son coffret « Les 13 cauchemars de la Hammer », ces trois titres captivants illustrent un aspect insuffisamment apprécié du studio britannique.

En parallèle de son catalogue de monstres, la Hammer a produit une douzaine de thrillers psychologiques entre 1960 et 1972. Ce cycle qui a commencé avec Traitement de choc (Val guest, 1960) s’est construit sur une cohérence thématique et esthétique – complot de famille, thème de l’imposteur… dans une atmosphère trouble. Dans l’anthologie Le Studio Hammer. Laboratoire de l’Horreur moderne ?, le texte de Jean-Francois Baillon « Hammer Motel » : tensions des nerfs et torsions des intrigues psychologiques britanniques post-Psychose [1] développe une analyse circonstanciée sur ce riche corpus tout en abordant son relatif échec public. Avec les trois titres qui font partie du coffret Elephant,  l’occasion nous est donnée de découvrir toutes les qualités de ce versant encore trop sous-estimée du studio anglais.

 

Le spectre du chat (The Shadow of the cat, John Gilling, 1961) : Féline vengeance

Comme le matou de la grande demeure provinciale anglaise, nous connaissons les coupables dès l’ouverture des hostilités. Le suspens ou plutôt la tension qui nous tient tout de long en haleine repose sur l’ordre et les modalités de leur élimination par un auguste chat noir. Cynique, l’atmosphère de ce huis clos aurait parfaitement convenu à la malicieuse Miss Marple. Si le paradigme actuel n’était pas aussi frileux, on pourrait conseiller à des adolescents de partager cette œuvre avec leurs parents. L’intelligence de la mise en scène réside dans la complicité savamment entretenue avec les spectateurs.  En alternant les agressions hors-champ – qui contribuent à ridiculiser les légitimes victimes – avec des attaques face caméra – efficacement menées -, John Gilling nous procure de douces et malicieuses petites frayeurs.

 

Paranoiac (Freddie Francis, 1963) : Shock Corridor.

Voilà huit ans que Tony est décédé, mais un homme lui ressemblant trait pour trait frappe à la porte de la famille Ashby en prétendant être le disparu. Fantasmes, manipulation ou surnaturel ? Les pistes se succèdent et  s’entremêlent dans une intrigue sans faille concoctée par Jimmy Sangster. Une parfaite maitrise l’art de l’ellipse – qui fait partie indéniablement de l’ADN du studio- ne permet aucun temps vide  . À juste titre,  l’affiche publicitaire  vante un lien de parenté avec  Psychose (1960, Alfred Hitchcock), mais comme le souligne Jean-Francois Baillon pour l’ensemble des thrillers Hammer, l’intertextualité hitchcockienne est beaucoup plus ample. Dans Paranoiac se retrouve l’esprit de Boileau et Narcejac – auteurs D’ entre les morts, roman à l’origine de Sueurs froides (1958)- ainsi que le plaisir de pousser ses belles héroïnes blondes au bord de la crise de nerf. Cas clinique par excellence, la famille Ashby regorge de potentiels tueurs, avides et pervers à souhait. Parmi eux, en fils désœuvré et alcoolique Oliver Reed – fidèle Hammerien – trouve un hôte à sa démesure. Sans avoir besoin de ses artefacts lycanthropiques, le comédien suscite autant l’effroi que dans La nuit du loup-garou (Terence Fisher, 1961). Thriller glaçant, Paranoiac consume ses monstres sans modération.

 

Meurtre par procuration (Nightmare, Freddie Francis, 1964) : L’ombre d’un doute.

Témoin du meurtre de son père par sa mère alors qu’elle n’était qu’une enfant, devenue adulte, Janet se trouve victime d’incessants cauchemars qui finissent par apparaître réels à ses yeux. Le tandem Francis/Sangster reprenant du service, le souffle de Paranoiac rejaillit sur cette nouvelle diabolique machination. La grande habileté de la mécanique se double ici de purs moments de mise en scène qui rompent avec le « dogme hammérien » tel que la qualifié Peter Hutchings [2]. Son analyse relève, entre autres : la grande discrétion de la prise de vue, l’usage constant d’un montage conventionnel et l’absence de recours à l’obscurité et à l’ombre dans le style de Val Lewton.  En plus de certains cadrages décentrés et de quelques effets optiques inhabituels, Meurtre par procuration contient deux acmés de mise en scène. La labyrinthique scène d’ouverture qui compresse le cadre et travaille les ombres d’une façon surréaliste. Moins impressionnante, la séquence sur la falaise convoque autant le trouble par ses variations de profondeur de champ. Plus encore que dans les films précédents, les riches nuances du  noir et blanc – John Wilcox en directeur de la photographie – imprègnent une  atmosphère et un mystère « So British ». Des trois thrillers psychologiques du coffret, nous tenons probablement ici la plus belle réussite.

 

Le spectre du chat / Paranoiac / Meurtre par procuration font partie du Coffret Elephant : « 13 cauchemars de la Hammer »

 

[1] Baillon Jean-Francois, Hammer Motel : tensions des nerfs et torsions des intrigues psychologiques britanniques post-Psychose au sein de l’anthologie Le Studio Hammer. Laboratoire de l’horreur moderne. Le visage vert 2023, P.389-408.

[2] Idem. Extrait de la page 402.

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