<< Martin sors d´ici ! >>, << Martin dégage ! >>, << Martin, tu vas parler ! >>, << Putain Martin, t´es trop con ! >>. Martin, dix ans, bientôt onze. Dix ans, l´âge doré de l´enfance, celui des copains et des câlins, celui où l´insouciance juvénile, dans notre découverte de la vie, nous protège encore de la dureté de l´univers des adultes. Dans Le Dernier des fous, Laurent Achard parvient à pénétrer au plus profond de Martin, ce petit bout de chou paumé qui se raccroche désespérément à de trop rares certitudes. Il nous offre ainsi un petit miracle cinématographique ; un film bouleversant, d´une justesse inimaginable, d´une puissance et d´une intensité qui ne faiblissent jamais. Rarement des yeux d´enfants n´auront été aussi émouvants.
Le film débute dans le noir. C´est le dernier jour d´école de l´année. L´oeil de Martin, et en même temps celui du spectateur, observe par le trou d´une porte le maître de classe donner congé à ses petits élèves. Quand il trouve Martin et l´extrait de sa cachette, l´enfant a cette phrase : << Je veux redoubler >>. Peur de l´inconnu, peur du vide, peur d´un univers sans repères…
C´est avec une pudeur d´une cruauté infinie, laissant une grande importance au hors champ, que le cinéaste nous décrit, à travers les yeux du gamin, le monde de Martin. Mère sénile, père dépassé qui ne connaît même pas l´âge de son fils, grand-mère acariâtre, grand frère torturé et suicidaire. Se faufiler entre les portes, regarder par les trous des serrures, voir et comprendre ce qu´il se passe, tel est le premier réflexe de Martin. Mais il est systématiquement rejeté avec violence. Autant de gifles, de coups qui l´atteignent en plein coeur.
Que faire alors pour attirer l´attention et susciter l´affection ? Pour glaner, ci ou là, quelques gestes tendres ? Il y a bien son frère, capable de le battre puis de lui offrir de trop rares moments de complicité. Mais celui-là n´est déjà pas en mesure de s´aimer soi-même, comment pourrait-il aimer autrui ? Il y a bien aussi sa nounou, la bonne, qui tente de le protéger. Mais peut-elle pour autant le comprendre ? Son affection, aussi sincère qu´elle soit, ne remplace pas l´amour d´un père ou d´une mère. << Si vous ne m´aimez pas, laissez-moi vous aimez >>, semblent alors nous dire ces yeux noirs globuleux, perpétuellement cadrés en position d´observation. Mais même ce droit lui est refusé. Ni sa voisine Catherine ni sa mère n´acceptent sa compassion. Etre exclu de la souffrance des autres est peut-être le plus horrible des sentiments.
Martin ne peut donc pas comprendre, mais il ressent. Son intelligence n´est pas déductive mais discursive. Devant la sécheresse de sentiments des personnes qui l´entourent, il tente de s´échapper intérieurement. Dilatation du monde et réflexe de survie qui ne seront pas suffisants. Car la réalité est trop dure. Martin vit sans amour, sans protection, à fleur de peau. Son petit coeur, dont le besoin de tendresse est si légitime, n´est plus irrigué ; la faute à l´indifférence de sa famille. Ses regards appuyés sont autant d´appels au secours qui ne trouvent pas d´écho. Les espaces vides, d´un noir abyssal, métaphorisent le silence et l´incommunicabilité qui règnent.
L´espoir se tarit, tout se meurt, une fin atroce se laisse deviner… Comment pourrait-il en être autrement ? Quelle autre alternative à la mort physique la ruine des sentiments est-elle capable de proposer ? Le dénouement, épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des protagonistes, tombe comme une sanction ; ou une justice ; ou un geste désespéré… Le ciel et la terre qui tremblent, la mort qui s´abat, une main d´enfant qui se baisse. Puis retour à la cruauté du silence. Dans ce monde où aimer est une folie, il n´en restera qu´un, le Dernier des fous. << C´est fini Martin, c´est fini >>…