Le Bel âge

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Le premier long métrage de Laurent Perreau est un film tout en finesse, mettant en scène deux personnages que tout semble séparer malgré les liens du sang qui les rattachent. Une oeuvre empreinte d´une mélancolie poétique qui laisse du vague à l´âme.

Le Bel âge expose deux êtres aux désirs divergents, vivant dans deux temporalités différentes. Malgré des goûts qui cherchent à s’exprimer dans des directions opposées, des passerelles se créent entre le monde de l’un et celui de l’autre. Claire est une jeune fille de dix-sept ans en mal de racines, ou plutôt en quête d’un avenir qui l’émanciperait de ce vieux chêne imposant et mystérieux qu’est son grand-père, avec qui elle vit. Elle cherche cette liberté, à la fois désirée et effrayante, dans la natation, les escapades nocturnes et l’aventure amoureuse. Une vie rythmée de contradictions internes la fait évoluer d’un château froid et silencieux le jour, aux boîtes de nuit, en passant par une salle de casino, le crépuscule tombé. Maurice, lui, n’a de cesse au contraire de se tourner vers un passé dont il n’arrive pas à s’émanciper.  Remords et regrets se côtoient dans sa mémoire, tandis qu’une jeune femme qui lui rend de temps en temps visite semble veiller sur lui…

Ces deux trajectoires pourraient tout aussi bien continuer à évoluer ainsi, en s’évitant, sans se gêner réellement ; pourtant, le mutisme et la solitude sont aussi des réalités qui peuvent être liantes. De ces liens qui savent être encore plus forts parfois que ceux qui se tissent naturellement, par attirance et ressemblance. Le Bel âge pourrait être un film sur les relations familiales (encore un), mais il est plus que cela : une interrogation sur les barrières cloisonnant les générations, qui ne semblent plus si incroyablement hautes dès lors que l’on réalise que nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés, à savoir : comment appréhender la vie ? – que ce soit celle à venir ou celle déjà vécue. La force de ce film réside dans la fragilité des personnages, qui restent fiers mais souffrent intérieurement de n’être pas compris, par les autres ou par eux-mêmes. Claire montre un corps qui semble la gêner, n’ose pas s’affirmer. Mais les séquences du film qui se déroulent à la piscine exhibent un corps libéré paraissant avoir trouvé son élément : là encore le silence sous l’eau, des mouvements gracieux… Et si chaque vie attendait simplement de trouver son élément ? Pour Claire, ce pourrait être Thomas, ce garçon étrange et romantique, discret, qu’elle aime mais fuit pourtant (par peur de vivre vraiment sachant qu’au bout il y a la finitude, la mort, que symbolise son grand-père ?)… Pour Maurice, cette force de vie pourrait être incarnée par Madeleine, cette jeune femme qui prend soin de lui mais dont la force de l’âge ne peut que lui rappeler son passé de jeune homme. Les deux personnages principaux sont aussi des êtres ayant besoin l’un de l’autre. Claire en ce qu’elle peut aider son grand-père à « oublier » son passé, à se délester de son poids en passant par la parole, Maurice en ce qu’il permettra à Claire de « plonger » dans la vie. On retient d’ailleurs son souffle lorsque l’un des derniers plans, filmé à la bougie, montre les deux personnages enlacés, « comme une réunion symbolique de ces deux rivages opposés de la vie », selon les mots du réalisateur.

Opposition et symétrie, voilà ce qui fait de ce film une œuvre tout en contrastes, d’autant plus soulignée par la manière de filmer du réalisateur. Pour le vieil homme, des plans plutôt lents et fixes, accompagnés d’une bande sonore orchestrale classique ; pour la jeune fille, des plans plus rapides, souvent filmés caméra à l’épaule, que souligne une belle bande originale pop signée Grégoire Hetzel. Laurent Perreau et Céline Bozon, la chef-opératrice, ont décidé, pour faire ressortir les différences entre le grand-père et sa petite fille, d’utiliser deux pellicules : une première, pour lui, qui désature les couleurs et tire sur le noir et blanc (difficile de passer à côté de la beauté de certaines images dont la couleur et l’aspect photographique, voire pictural, font toute la force des plans, qui acquièrent alors une dimension automnale et romanesque) ; une deuxième, pour elle, qui densifie les images et rend les couleurs plus vives. Une troisième pellicule, intermédiaire, les réunit également. Une originalité technique à laquelle rend hommage le talent des deux acteurs principaux, que l’âge et l’expérience opposent aussi dans la vraie vie, avec un Michel Piccoli qu’il n’est plus besoin d’introduire, et une actrice débutante, Pauline Etienne (Elève libre, de Joachim Lafosse, 2008 ; Qu’un seul tienne et les autres suivront, de Léa Fehner, sorti le 9 décembre), qui a obtenu cette année pour ce film le Prix d’Interprétation féminine au Festival International des Jeunes Réalisateurs de St-Jean de Luz . Saluons enfin l’ultime originalité du réalisateur : avoir filmé la dernière séquence avec Claire / Pauline en numérique, signe de l’élan de la jeune fille / l’actrice vers un avenir en pleine construction.

Laurent Perreau signe avec Le Bel âge un beau premier film, une œuvre poético-mélancolique qui ne peut laisser insensible.


Titre original : Le Bel âge

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Durée : 97 mn


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