La ronde du crime

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Bien avant « l’inspecteur Harry »(1971) qui se place résolument du côté de la loi et de l’ordre, « la ronde du crime » est un diamant noir à l’état brut où la violence cinématique inouïe de deux desperados du crime est sublimé par le décor victorien naturel de San Francisco. Haletant de bout en bout.

En quatrième vitesse

D’emblée, la séquence d’ouverture donne le ton. On assiste au vol à l’arraché d’un bagage dans l’enceinte portuaire du quartier de l’Embarcadero de San Francisco, la « cité près de la baie ». Un touriste influent ,de retour de Hong-Kong, s’est vu dérober sa valise. Le porteur indélicat l’enfourne subrepticement à l’arrière d’un taxi en maraude sur l’aire d’embarquement. Le véhicule effectue une embardée dans un crissement de pneus sur les chapeaux de roue. Il entre en collision avec un camion semi remorque alourdi par son fret, donne de la bande et renverse mortellement un policier qui, par ricochet, fait un « carton » sur le chauffeur.

Après l’enchaînement en cascade de ces carambolages successifs, le véhicule termine sa course folle en bordure des docks, près des pontons. Grâce à l’intervention du service de la balistique, la police d’investigation découvre que le bagage intercepté contient une statuette exotique bourrée d’héroïne de premier choix. Elle met au jour une filière internationale organisée dans le trafic de drogue.

Des « mules », ces passeurs de drogue, jettent leur dévolu sur des touristes au-dessus de tout soupçon choisis pour passer la marchandise illicite en fraude. La came est planquée dans des bibelots et des souvenirs achetés à Hong-Kong. Une fois débarqués, Les « liquidateurs » les « soulagent » de la poudre blanche. Deux gangsters et un chauffeur, rompus à cette technique d’escamotage, sont dépêchés pour récupérer les nouveaux arrivages et faire en sorte qu’ils ne soient pas détournés de leur destination.

 

Un thriller enfiévré

Le titre français , « la ronde du crime » traduit bien la spirale mortifère qui secoue de part en part ce thriller enfiévré.
Oscillant entre film d’action et film noir, The Lineup va crescendo pour se terminer dans un inextricable cul-de-sac autoroutier qui ouvre sur l’impasse d’une voie express encore en construction comme point de non retour.

Le titre anglais insiste sur l’enquête procédurale policière ténue et obstinée qui passe inévitablement par une parade
d’identification de pure forme afin d’ identifier le porteur à bagages volatilisé dans la foule. Cette investigation laborieuse est rapidement reléguée au second plan pour privilégier l’action. Siegel s’imprègne de l’architecture victorienne des sites touristiques spectaculaires de la ville pour faire de San Francisco le personnage central de son film. La même année, Alfred Hitchcock y plante sa caméra sur sa toile de fond lumineuse et photogénique pour tenter de démêler les affres psychologiques du couple mythique de Vertigo.

La production aborde le film de Siegel comme le produit dérivé pour le grand écran d’une série télévisée éponyme qui sévit entre 1954 et 1960 dans le même esprit que la série à succès Dragnet. Toutefois, le cinéaste parvient à s’en démarquer par la forte caractérisation qu’il imprime à ses personnages de criminels et l’utilisation cinématique époustouflante de la topographie de San Francisco, ses artères et ses rues en pente caractéristiques autant que ses bâtiments et ses infrastructures intemporels tels le centre d’attractions Sutro, l’aquarium Steinhart, le Seaman’s club qui n’existent plus de nos jours.

Après Nightfall de Jacques Tourneur où il adaptait David Goodis et avant de décrocher un oscar pour « Dans la chaleur de la nuit » de Norman Jewison, Stirling Silliphant imprime sa signature dans les dialogues percutants qu’il prête à ses personnages décidément peu recommandables. En superviseur avisé, Julian qualifie Dancer de « pur cas pathologique dépourvu de la moindre inhibition ».

 

Men in black

Frais émoulu de son premier rôle déjanté dans La poupée de chair d’Elia Kazan, Eli Wallach campe avec maestria la personnalité borderline de « Dancer », un gangster sociopathe qui agit comme une bombe humaine à retardement partout où il passe.

Pensant avoir affaire à un film policier de routine, l’acteur était enclin à chercher les conflits sur le tournage. Un influx nerveux que sut canaliser Don Siegel pour susciter de sa part cette frénésie meurtrière qui « impressionne » jusqu’à la pellicule. Il en fait un exterminateur forcené prêt à en découdre avec tout le monde. Doté d’un accent new-yorkais prononcé, il débarque dans les rues de San Francisco avec arme et presque sans bagage, flanqué de son mentor de comparse, Julian (Robert Keith) au regard de batracien.

Don Siegel induit une homosexualité latente un peu trouble entre les deux hommes et le chauffeur dipsomaniaque, Sandy Maclaine (Richard Jaeckel) en accusant la misogynie foncière de Julian et en déchaînant la violence refoulée de Dancer.

Dancer a la gâchette facile et Julian émousse les angles rugueux de sa personnalité sadique comme il ferait d’ un poulain rétif à dompter. Exécuteur des basses œuvres, le psychopathe qu’il est d’évidence, affichant ses tics nerveux de violence refoulée, met un point d’honneur à transformer en sanctuaire les rues de San Francisco lors de ses « expéditions punitives » ; jonchant son passage de quidams « proprement » refroidis avec son silencieux. Alors que Dancer est un démolisseur, Julian est le fossoyeur de ses victimes dont il recueille, comme un passe-temps funeste, les dernières paroles sur un carnet noir en guise d’épitaphe.

La ronde du crime autopsie la folie meurtrière de ces criminels entraînés dans une surenchère homicide. Au fur et à
mesure que l’étau policier se resserre sur les trois « losers », la violence incontrôlée monte d’un cran pour atteindre une apothéose finale à l’intersection du crime et de la loi. La brutalité directe a force de loi. C’est le constat d’amertume que retient cette œuvre sulfureuse qu’on ne se lasse pas de redécouvrir.

Titre original : The lineup

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Durée : 85 mn


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