A la fin du XIXe siècle, en Angleterre. Hazel Woodus vit avec son père dans la campagne. Passionnée par les animaux, elle a apprivoisé un petit renard. Au cours d’une balade en forêt, elle fait la connaissance de Jack Reddin, le châtelain du pays.
Paradoxalement, le duo Powell/Pressburger eut beaucoup plus de mal à financer ses projets audacieux durant la période de paix des années 50 qu’au temps où ils oeuvraient pour l’État (trop occupé pour mettre concrètement son nez dans le contenu des films) en temps de guerre. Leur collaboration s’étiola lentement et les films se firent moins grandioses (mais toujours aussi soignés, tel le film de guerre stratégique La Bataille du Rio de la Plata) au point de voir Powell réaliser seul Le Voyeur. La violence du film (pourtant véritable réussite artistique) scandalisa l’opinion et mit Powell au ban de l’industrie britannique. La Renarde (ainsi que le somptueux Les Contes d’Hoffmann l’année suivante) peut donc être considéré comme un des derniers très grands films des Archers (du nom de leur société de production). Powell se montra peu satisfait par la suite du film, du fait de la collaboration difficile avec David O’ Selznick, mais c’est pourtant le mélange de sa sensibilité et de celle du nabab hollywoodien qui offre au film tout son pouvoir magnétique.
Récit romanesque
En proie à des difficultés financières, le producteur Alexander Korda se voit contraint de s’associer au légendaire David O’ Selznick lorsqu’il envisage de lancer la production de La Renarde. Celui-ci possède, à juste titre, une aura aussi prestigieuse et mythique que les plus grandes stars et réalisateurs hollywoodiens. Découvreur de talents au flair de génie, on lui doit l’arrivée à Hollywood d’Alfred Hitchcock, l’émergence des Katherine Hepburn, Ingrid Bergman ou encore Vivian Leigh. Il est surtout à l’œuvre derrière certains des plus grands films de l’Âge d’or du cinéma hollywoodien comme Une étoile et née ou encore Autant en emporte le vent. Ce dernier, immense succès au tournage chaotique (qui épuisa pas moins de trois réalisateurs) est en quelque sorte l’aboutissement artistique de la carrière d’O’Selznick, celui auquel tous ses futurs projets devront se mesurer.
Il ne cessera donc par la suite de chercher à égaler ce film mythique, notamment avec Duel au soleil (réalisé par King Vidor en 1946), flamboyant western, aussi sulfureux que visuellement époustouflant, ou encore l’adaptation de L’Adieu aux armes d’Hemingway en 1957. Il ne sera finalement pas étonnant de le voir s’intéresser à une adaptation de La Renarde, tant le roman de Mary Webb recèle tous les éléments de la formule O’Selznick : le triangle amoureux, le cadre rural ainsi que la teneur sulfureuse et érotique véhiculée par le personnage de Jennifer Jones. Épouse d’O’ Selznick à la ville, elle vit sa carrière lancée par son mari en endossant un type de rôle récurrent qu’on retrouve dans La Renarde (elle fut imposée à Powell et Pressburger). Sa sensualité brûlante et son allure provocante l’ont souvent destinée au rôle de jeune fille innocente et sauvage à la fois, en proie au désir violent des hommes. Son rôle le plus fameux dans le genre reste Duel au Soleil, avant qu’elle ne dévoile un registre plus varié, chez Lubitsch notamment dans La Folle Ingénue. Tous les atouts de la fresque romanesque hypertrophiée qu’affectionne O’Selznick sont donc présents. Pourtant, l’essence du roman de Mary Webb et la présence envoûtante de Jennifer Jones vont permettre à Powell et Pressburger d’y apposer leur sceau.
Esprits de la nature
L’œuvre de Mary Webb dont est adapté La Renarde se caractérise par la fascination qu’elle avait pour la nature. Profondément marquée par son enfance campagnarde dans le Shropshire où elle vécut toute sa vie, elle confère à la nature un statut mystérieux et solennel, en en faisant un personnage à part entière de ses récits. Michael Powell, lui-même imprégné de cet attachement à la beauté rurale anglaise (et randonneur émérite) était donc tout désigné pour mettre en image les écrits de Mary Webb.
Le film s’ouvre et se ferme sur une partie de chasse où « Foxy », le petit renard d’Hazel, est la proie des chiens et de leur maître, signant ainsi l’apparition et la disparition de son héroïne. L’ouverture magistrale à travers la fuite de l’animal dévoile progressivement les atouts visuels du film, avec ses forêts aux arbres imposants et ses clairières plongées dans une pénombre irréelle. Bien que concrètement dénué d’éléments surnaturels, il se dégage une atmosphère de paganisme troublant tout au long du récit. Excalibur de John Boorman traitait en partie de la disparition de toute cette culture païenne celtique dévouée à la magie et la nature au profit du Dieu monothéiste tout puissant de la religion chrétienne. Antérieur par la date de sortie du film mais postérieur par l’époque qu’il dépeint, La Renarde montre au contraire l’affrontement encore vivace des deux mondes par le déchirement intérieur de Jennifer Jones.
Fille de gitane, Hazel ressent, grâce aux enseignements de sa mère, toute l’harmonie des éléments dévolus aux créatures de la forêt, en être sauvage et indompté. C’est une promesse malheureuse qui scellera son destin : sur la pression de son père, elle jure sur les montagnes d’accepter la demande en mariage du premier qui se présentera. Ce sera le trop prude et timoré Edward Marston (Cyril Cusack), pasteur du village, alors que sa nature volcanique réclamait l’étreinte virile et passionnée de Jack Reddin (David Farrar), châtelain également fou amoureux d’elle. Les deux hommes représentent les deux aspirations contradictoires d’Hazel et les oppositions idéologiques du récit : une vie rangée et acceptée de tous avec le pasteur symbolisant la chrétienté, ou céder aux sirènes du désir avec un David Farrar sans tabous ni inhibitions. Jennifer Jones livre une prestation incroyable, entre candeur enfantine et provocation sensuelle, à mi-chemin entre l’héroïne incandescente de Duel au soleil et de celle piégée qu’elle interprétera dans Madame Bovary. David Farrar et sa brutalité ténébreuse est tout aussi convaincant, se complétant bien avec la retenue de Cyril Cusack en pasteur.
Powell décrit une Nature se posant en juge et observatrice des événements. Les cadrages et compositions de plan, magnifiés par la photo fabuleuse de Christopher Challis (qui prenait le relais de Jack Cardiff et allait de nouveau faire des merveilles sur Les Contes d’Hoffmann) sont foisonnants de détails et confèrent une tonalité de rêve éveillé, accentué par le technicolor si particulier du cinéma anglais. Ces aspects fantastiques dans les éclairages vont crescendo tandis que les sentiments se déchaînent. D’une première partie mystérieuse mais encore relativement sobre, la rencontre secrète entre Hazel et Reddin se voit nimbée d’une lumière de solstice d’été, tandis que la conclusion offre des éclairages rougeoyants et baroques (Autant en emporte le vent n’est pas bien loin). Partout la nature est omniprésente, menaçante et bienveillante à la fois avec ses montagnes imposantes, ses rochers aux formes inédites. La bande son particulièrement fouillée participe de cet onirisme, où le murmure du vent se mêle au chant des oiseaux, accompagné par le score inspiré de Brian Easdale. Rejetée par le conformisme du monde des hommes, et ayant failli à Dame Nature en brisant sa promesse, c’est dans la mort qu’Hazel trouvera la paix, lors d’une ultime partie de chasse pendant laquelle elle tentait de sauver « Foxy ».
Contrairement à ses habitudes, David O’Selznick n’interviendra pas particulièrement durant le tournage mais se montrera fort mécontent du résultat. Il remontera le film pour les USA (rebaptisé The Wild Heart là-bas), fera retourner des scènes par Rouben Mamoulian et ajoutera nombre de gros plans de Jennifer Jones. On comprend la rancune tenace et la faible estime de Powell et Pressburger pour le film. Pourtant, les esprits de la forêt qu’ils ont ressuscités, associés à la grandiloquence d’O’Selznick, imprègnent durablement les rétines pour ce qui demeure un de leurs plus grands films.