La Nuit du verre d’eau

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De la guerre civile à une guerre intime contre le patriarcat : si ce déplacement enclenché par La nuit du verre d’eau a de quoi intriguer, la multiplication des thématiques et des angles d’attaque l’empêche de véritablement trouver corps.

La montagne et la guerre

Le film s’ouvre sur une série de plans fixes, nocturnes, silencieux. Dès l’introduction, on nous donne à comprendre quelles seront les particularités du territoire sur lequel l’action prendra lieu : un canyon, deux blocs de roche troués par des grottes et une vallée entre les deux. Puis apparaît un court texte visant à situer l’action : Le Liban, en 1958, traversé par une crise politique et religieuse et un petit village de montagne depuis lequel on ne percevrait que les échos de la tempête qui agite le pays. Ainsi, on nous fait la promesse d’un film qui se poserait une question de mise en scène passionnante, celle de ressaisir une guerre civile non pas en s’en approchant le plus possible et en essayant de produire une sorte de regard omniscient et exhaustif sur les évènements qui la traverse mais au contraire en assumant l’approximation, en adoptant le regard obstrué propre à une zone dont la marginalité à l’épicentre du conflit est renforcée par ses spécificités géographiques. Si effectivement le conflit et le problème de la distance se manifestent à plusieurs reprises dans le film – scène de dispute à table entre chrétiens et musulmans ; veilleurs de nuit armés d’un fusil et d’une lanterne (si la vallée a une proximité plastique avec Monument Valley, on pense ici à des figures de western, genre particulièrement intéressant pour filmer la manière dont les conflits armés peuvent traverser le paysage) – rapidement on comprend que ces enjeux à la fois politiques, territoriaux et esthétiques seront délaissés au profit d’une approche sociologique de la microsociété villageoise.

D’une guerre civile à une guerre intime

On suit Layla, jeune mère, aînée de trois sœurs et la seule parmi elles à être mariée. L’étude des mœurs puritaines devient centrale dans le film et plus particulièrement la question du mariage forcé. Un cadre revient à deux reprises dans le film : plan rapproché poitrine, elle allongée au premier plan et le reste de la chambre à l’arrière-plan dans le flou. Dans le premier plan, qui correspond également à sa première apparition, elle est endormie. Son mari entre dans la chambre, et se couche derrière elle en la prenant dans ses bras. Il commence à lui caresser le sein. Elle dit qu’elle n’a pas envie, car elle est fatiguée. Il continue pendant plusieurs secondes, avant d’entendre un bruit. Il se jette alors dans son lit, séparé de celui de Layla par une table de nuit. Dans le deuxième, qui intervient à la moitié du film, ils font l’amour. Il est sur elle, le visage dans son cou. On ne voit donc que le visage de Layla, visiblement en train de s’ennuyer. Jusqu’ici, on est dans la représentation classique du viol conjugal au cinéma, avec le mari écrasé sur la femme qui se laisse faire sans prendre aucun plaisir. Le plan dure, et au bout d’un moment, elle commence à relever la tête et à accélérer sa respiration de plus en plus intensément, jusqu’à la jouissance. Simulation ou plaisir sincère ? La troisième partie du plan apporte la réponse. Le mari continue pendant plusieurs secondes, elle s’arrête à nouveau, et commence à pleurer. Ces deux moments promettent une approche esthétique et politique particulière d’un sujet pourtant a priori peu original. Ils modifient notre regard sur la chambre conjugale, en en faisant un champ de bataille – à noter l’intrigante correspondance plastique entre la vallée et les deux lits séparés par une puritaine table de nuit, véritable no man’s land – à travers lequel Layla doit mettre en place des stratégies pour s’extirper du rapport de force patriarcale qui la contraint.

De l’exhaustivité au non-choix

Malheureusement, ce déplacement d’une guerre civile à une guerre intimiste s’incarne difficilement dans le film. Quand la caméra abandonne sa proximité terre-à-terre avec les habitants du village et son flou d’arrière-plan quasi constant qui empêche le spectateur de s’imprégner intimement des décors, elle semble oublier les promesses d’approche politique du paysage faîtes au début du film. Alors pourquoi faire revenir à intervalles réguliers ces plans larges et silencieux sur la vallée, comme des réminiscences d’une idée qu’on ne sait pas s’il faudrait abandonner ou non ? En plus de son utilisation au montage d’ordre rythmique, la vallée est également utilisée pour des raisons psychologiques.  En effet, il s’agira d’un terrain d’évasion pour Layla, à son mari, à sa famille, aux contraintes puritaines qui l’oppressent. Montagnes qu’elle s’arrêtera pour dessiner ou qu’elle traversera en voiture, et auxquels le cinéaste consacrera des plans plus larges et dont la profondeur de champ appelle notre regard vers l’horizon, cet espace d’émancipation sera également exploré par Layla dans ses profondeurs. Elle emmènera deux français visiter les grottes sur la paroi des montagnes. Dès l’apparition de ces deux personnages, un jeune médecin et sa mère, poussés à s’éloigner des centres politiques du pays, on comprend très vite où nous emmène ce film offensif vis-à-vis d’une conception patriarcale de la famille. C’est dans l’une des grottes, à l’abri des regards, qu’aura lieu le premier adultère. Le personnage du médecin n’existant que très peu au-delà du désir qu’il inspire à Layla, la relation ne franchit jamais le cap de la représentation convenue. On commence alors à entrevoir la limite principale du film : la multiplication des pistes scénaristiques, qu’elles relèvent de la critique du patriarcat et du puritanisme ou d’une possibilité d’émancipation pour Layla. Les dissensus religieux, les rencontres organisées entre les jeunes sœurs et les éventuels maris qui les dégoûtent par avance et celles en cachette avec leurs amants, les moqueries envers un oncle que l’on croit homosexuel, le jeune fils déjà prêt à être futur patriarche, tous ces éléments apparaissent de manière éphémère à l’écran. Ainsi, de potentiels sujets à traiter, ces pistes ne s’avèrent être que des signes envoyés au spectateur pour qu’il comprenne bien à quel point le village cocherait une par une toutes les cases du puritanisme le plus nauséabond. On se retrouve face à un film qui ne prend pas décision, un film qui ne sait pas par quel angle attaquer son sujet et qui fait alors le choix esthétiquement malheureux de l’exhaustivité, de l’absence d’angle-mort. Les tentatives d’introduire du trouble par le regard de l’enfant porté sur sa mère en train de s’éloigner de son père n’aboutissent pas car incapables d’aller au-delà d’un freudisme convenu. Si le scénario ne prend pas de décision, la caméra non plus. Elle ne sait jamais vraiment quoi filmer à l’instant t, et multiplie alors les lents panoramiques dans l’espoir qu’ils parviennent à retranscrire quelque chose de l’énergie de la situation présente. La photographie elle aussi est dans le vague. Ne sachant pas où se placer entre les couleurs ensoleillées et le quotidienneté grisâtre, elle fait un peu des deux.

 

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Durée : 83 mn


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