La désintégration va sans nul doute créer le débat, l’objet du film plier sous le poids de nombreux reproches qu’on voit déjà d’ici, didactisme, raccourcis, simplifications. Il faut dire que le sujet est casse-gueule : on y suit pas à pas trois jeunes, deux d’origine maghrébine, l’autre converti à l’islam, résidents d’une triste cité lilloise et désabusés par la société française, qui se laissent embrigader par un islamiste radical jusqu’à commettre un attentat au siège de l’OTAN à Bruxelles. Le débat sera faux, tant Philippe Faucon (Samia, Dans la vie), qui chronique depuis une quinzaine d’années avec pas mal d’intelligence la vie des banlieues, prend son histoire à bras le corps, la déroule sans jamais regarder de côté, se garde bien de porter un jugement. Sec, dans l’épure, comme débarrassé de tout élément qui ne ferait pas sens absolu, l’objet n’est ni film à thèse, ni docu alarmiste sur l’état de la France. Il raconte juste une histoire, une bonne histoire.
Le premier quart d’heure de La désintégration laissait pourtant craindre le dossier social ausculté au plus près. Jeune étudiant qui désespère de ne pas trouver de stage, convaincu que son nom à consonance arabe n’y est pas pour rien, incommunicabilité entre les classes et les religions, tout pointe vers le film à idéologie bien-pensante. C’est notamment flagrant dans la figure de la mère, petite femme résignée mais aimante et tolérante, qui prône le respect comme base fondamentale de l’islam. On se rend vite compte qu’on fait fausse route : Philippe Faucon ne pose pas des personnages dessinés à l’avance, il laisse ses acteurs, formidables et non professionnels pour la plupart, construire un personnage à partir de ce qu’ils ont à offrir. C’est ainsi que tous composent des rôles auxquels on croit les yeux fermés, et que La désintégration peut dès lors dérouler sa mécanique implacable.
Car l’exclusion sociale n’était montrée que pour servir de terreau à l’extrémisme religieux, qui récupère alors frustration, colère et dé-appartenance identitaire. C’est désormais une chute libre que l’on observe, celle de trois jeunes hommes qui ne sentent plus à leur place et lâchent prise. Une chute que rien ne viendra plus enrayer (le suspense est définitivement absent du film, l’attaque aura bien lieu), et qui donne à La désintégration, sans jamais gommer les accents de drame social, des couleurs de polar désespéré. Pas de tentative de justification des actes des apprentis terroristes, pas d’accablement non plus : Philippe Faucon s’attache simplement, à l’aide d’une chronologie extrêmement resserrée et d’un montage au cordeau, à faire surgir la tension en faisant fi de tout sensationnalisme.
Grâce à des comédiens desquels Faucon tire le meilleur (à commencer par Rashid Debbouze, frère de Jamel) et malgré une économie certaine de moyens, La désintégration raconte beaucoup en des plans très brefs, très clairs. En témoigne la séquence du métro, extraordinaire, où une passagère jette un oeil furtif en direction d’Ali qui lit le Coran. Incompréhension, mépris, crainte de l’autre : le coeur du film est là, contenu tout entier dans une scène-éclair qui, autant que la polysémie du titre, dit comme rarement le morcellement identitaire de la société française.