Thème délicat s’il en est, la pédophilie est au centre de plusieurs drames ces dernières années, qui n’ont toutefois rien en commun si ce n’est leur refus de verser dans le sensationnalisme nauséabond. En 2011, la Corée du Sud a déterré un scandale judiciaire qui a secoué le pays avec Silenced de Hwang Dong-hyuk (récemment diffusé au festival du film coréen de Paris) et la France a exorcisé les démons d’Outreau (sans doute seulement en partie) avec la sortie de Présumé coupable (Vincent Garenq, 2011). Dans le cas de La Chasse, dernier film du réalisateur danois Tomas Vinterberg, l’accent n’est toutefois pas mis sur les rouages parfois inhumains, parfois inefficaces, de la machine judiciaire, mais sur l’engrenage insidieux de la rumeur et du préjugé, qui peut refermer sur le plus innocent des hommes une mâchoire impitoyable. Un étau, fait de pressions, de regards en coin et de ressentiments aveugles, qui ne se desserrerait jamais.
Exilé à Hollywood le temps de quelques déconvenues remarquées (It’s All About Love et Dear Wendy, 2003 et 2004), le cinéaste Tomas Vinterberg, estampillé « successeur de Lars Von Trier » lors de la sortie de Festen (1998), revient sur ses terres labourer des thèmes qui lui sont déjà familiers : le pouvoir corrupteur de la famille, les amitiés fraternelles sources de joie comme de souffrance, et, faut-il le souligner, l’innocence des enfants pervertie par l’inconscience des adultes. Mais, moins que le portrait d’une fratrie au bord de la fracture (David, ses amis, ses cousins et ses beaux-frères ont l’habitude de se retrouver entre hommes pour, tiens donc, des parties de chasse), c’est un thème évanescent et insaisissable qui intéresse ici Vinterberg : le doute, la méfiance, propres à faire voler en éclats toutes les convenances et les liens d’amitié.
Si l’exercice de style est louable, le gros problème de La Chasse reste son côté caricatural et manipulateur. Pour les besoins de sa démonstration, Vinterberg n’hésite pas à montrer les personnages réagissant moins comme des humains normaux que comme des antagonistes, contribuant systématiquement à accabler un héros qui préfère l’évitement à la défense, ce qui est quand même surréaliste dans un cas pareil. Le film est en même temps contradictoire dans sa mise en scène, détachée alors que réalisateur contrôle à chaque minute les réactions que doivent avoir les spectateurs.
Petits mensonges infantiles…
On ne doute par exemple jamais de la probité du personnage de Mikkelsen, alors qu’instaurer de l’ambiguïté aurait rendu, paradoxalement, le film plus inconfortable, et donc plus efficace dans sa démonstration. En l’état, la seule chose que La Chasse apprend, c’est que « les enfants mentent, tout le temps ». Aussi simpliste et caricatural que ça. Apparemment, il n’y a que les personnages du film qui semblent ne pas être au courant, vu la rapidité avec laquelle ils se lancent dans leur chasse aux sorcières. Plus gênant, seul le beau-frère de David, un notable riche propriétaire, semble être « assez éduqué » pour garder un salvateur recul sur l’affaire, ce qui en dit long sur le regard que porte le metteur en scène sur ses congénères de la campagne danoise.
Autour de Mads Mikkelsen, Vinterberg a rassemblé un casting adéquat, donnant à son acteur fétiche, Thomas Bo Larsen, le rôle pivot du meilleur ami déchiré entre loyauté et instinct grégaire de parent inquiet. La mise en scène de Vinterberg est méthodique, parfois inutilement chichiteuse, superposant des plans d’une nature idyllique aux couleurs dorées, à des gros plans d’un David inquiet, cerné par la caméra. Mais à quoi bon ? Le projet a une allure de donneur de leçons et enfonce trop de portes ouvertes pour que la démonstration soit convaincante.