La mise en scène ignore le bon goût, cumule les approches frontales. Le début du film pose le décor : trombes d’eau, zébrures dans la nuit texane, relents bleutés sur le bitume cinglé par la pluie, comme si la météo se mettait au diapason des affrontements psychologiques et physiques à venir. Les éclairs, le cosmos sont de connivence avec les hommes : il n’y aura nulle échappatoire pour personne, pas même pour la lolita névrosée, superbement campée par Juno Temple, qui ne rêve que d’échapper à ce cloaque mais se retrouvera dans l’œil du cyclone. De fait, cette famille n’est pas un lieu pour élever une jeune fille. Dès la première scène, la caméra nous dévoile le sexe dénudé de la belle-mère, et seulement ensuite son visage : tout un programme. Les insultes fusent entre elle et le jeune Chris. Le père et la fille s’en mêlent. Le jeune homme doit honorer des dettes contractées auprès de dangereux dealers. Pourquoi ne pas assassiner sa mère, détentrice d’une mirobolante assurance-vie ? La famille se jauge. La proposition fait l’objet d’un consensus aussi immédiat que déconcertant. Savoureuse idée, au fond, que de centrer le film sur cette figure maternelle quasiment invisible, comme un clin d’œil ironique à la matrice des films consacrés à la folie meurtrière nichée au sein de la province américaine (Psychose, 1960).
Le film semble se délecter à brouiller les pistes du Bien et du Mal. Le personnage de Joe, flic le jour, tueur à gages la nuit, interprété par un Matthew McConaughey sobre et saisissant, résume à lui seul cette ambiguïté. Dépourvu du moindre moralisme, le film exhibe la dissolution des liens entre les individus, l’égoïsme, le cynisme, l’absence d’empathie, placés sous les auspices d’une bêtise profonde, se confondant avec la cruauté. L’armature du film, celle de la pièce éponyme de Tracy Letts ici adaptée, a la rigueur d’un théorème. Sèche, nihiliste, elle accuse d’autant plus son origine théâtrale que les bavardages abondent, les ficelles scénaristiques ne cessent d’affleurer. Les enchaînements s’avèrent à la fois implacables et mécaniques. Dès lors, le film se révèle peu à peu comme une machine, tant dramaturgique que cinématographique, conçue pour broyer du noir, du sang, du sperme et rien d’autre.
Ainsi, Killer Joe synthétise les qualités et les défauts des meilleurs Friedkin (tel French Connection, 1971) : habile mais trop carré, efficace mais peu subtil, cantonné à un premier degré aussi fascinant que limité. En particulier, la bêtise humaine n’a pas ici la même intensité sidérante et poétique que chez les frères Coen. Avec leurs figures minérales, loin de fantoches éructants sur une scène de théâtre, Fargo et The Barber : l’homme qui n’était pas là (2001) distillaient plus de vertige, se déployaient en spirale, non en ligne droite, et une certaine mélancolie les nimbait, ainsi qu’un humour teinté d’ironie, tour à tour sarcastique et attendri. C’est sans doute ce pétillement triste qui manque à Killer Joe, lequel n’en reste pas moins un film à sa manière jouissif. Il serait dommage de s’en priver.