Kadi Jolie

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Aperçu d’une série qui fit du Burkina Faso le pays Africain de l’image

En 1999, Kadi Jolie fait son apparition sur les écrans télévisés du Burkina Faso. Cette série franco-burkinabé, écrite et réalisée par le cinéaste reconnu Idrissa Ouédraogo, connaîtra un succès fulgurant dans une cinquantaine de pays africains et sera diffusée sur la chaîne Comédie ! à partir du 7 mars 2000. Elle totalisera 80 épisodes d’une dizaine de minutes chacun.

Prémices d’une industrie nationale

Hormis le Gabon qui avait sa propre sitcom – L’Auberge du Salut – les télévisions africaines diffusaient généralement beaucoup de séries étrangères, que ce soit les telenovelas sud-américaines (un club de football du Burkina Faso fût même baptisé du nom d’un héroïne brésilienne) ou même la sitcom Hélène et les Garçons – finalement retiré de la RTB (la télévision nationale burkinabé) parce qu’il donnait un exemple inapproprié à la jeunesse[1]. En 1998, persuadé que « les Africains, comme tous les peuples, ont besoin d’avoir des héros à leur image », le producteur Toussaint Tiendrébéogo parvient à décider le réalisateur Dani Kouyaté de donner naissance à la première série burkinabé : A nous la vie [2]. Centré sur la vie d’un groupe d’étudiants originaires de différents pays africains, il reçoit un prix au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou et lance la mode des séries « made in Faso ». Partageant la conviction de son confrère selon laquelle il y a « plein d’histoires à raconter en Afrique », Idrissa Ouédraogo se lance donc dans le tournage de sa série Kadi Jolie.

 

 

Girl Power

La star de cette sitcom est donc Kadi, une jolie trentenaire célibataire qui tourne les hommes en ridicule à l’aide de sa meilleure amie Nora. Mais c’est encore le site Cinexport-paris.com qui la résume le mieux : « Kadi Jolie, c’est le Zorro des Ouagalaises. C’est aussi la plus belle femme de Ouagadougou. D’épisodes en épisodes, elle vole au secours de la veuve et de l’orphelin, déjoue les complots et ridiculise les machos, vendeurs d’arachides ou bien ministres. Et quand ça va pas, c’est le marabout qu’elle visite, pas le psy. » Dans le premier épisode, Le Guerrier, Kadi cherche bien un « géniteur » mais elle ne veut pas faire d’enfant avec n’importe qui : les hommes déjà mariés ne l’intéressent pas et surtout, il faut qu’il ait un travail. Les hommes infidèles et entretenus, très peu pour elle ; ce genre de « salauds », elle n’en veut pas. Sophie Hoffelt décrit l’héroïne comme étant « la femme moderne africaine qui prend en main son destin et ne se laisse pas mener par les hommes. »[3] Aminata Diallo-Glez, son interprète (qui jouait déjà dans A nous la vie), la définit comme « le porte-parole des jeunes urbaines » rappelant au passage que c’était « la première fois qu’on donn[ait] le rôle principal à une femme. » La comédienne profitera d’ailleurs de cette occasion pour co-créer et diriger la société de production Jovial’ Productions qui coproduira la série.

La constante dans Kadi Jolie – mise à part le générique sur fond de « Ragga de Ouaga » (chanté par Roger Wango) – c’est qu’elle fait la part belle aux femmes, toujours victorieuses à la fin de chaque épisode. Il faut dire que les hommes ne sont pas présentés sous leur meilleur jour : menteurs, paresseux, infidèles…et ni les marabouts (présenté avec un ridicule bonnet à cornes) ni les ministres n’échappent à cette caractérisation. Kadi prend un malin plaisir à les tourner en ridicule, n’hésitant pas à leur faire croire qu’elle a gagné à la loterie ou qu’elle est enceinte pour les mettre face à leur lâcheté. Si certains essayent de se venger – comme Ahmed qui lui fait croire qu’il s’est changé en chèvre après qu’elle a demandé une poudre au marabout pour le rendre docile – c’est bien elle qui a toujours le dernier mot. Même pour traiter de thèmes comme l’émigration, la polygamie ou la corruption, la série opte toujours pour une tonalité humoristique, parfois absurde – comme ce personnage qui fait croire à Kadi qu’il était blanc avant de cramer dans un accident d’avion – et souvent proche du vaudeville ou même de la farce avec ces retournements et ces coups de théâtre. Les réalités quotidiennes sont abordées sous l’angle de l’ironie.

Improvisations et décors naturels

Ouédraogo n’arrivait pas sur le tournage avec un scénario à proprement dit, la série étant le résultat d’échanges collectifs : «  Chaque matin, on se raconte des histoires drôles pendant une heure, et à la fin on sait de quoi on va parler dans l’épisode du jour. On vient tous du théâtre, on a l’habitude d’improviser « , explique ainsi l’un des acteurs. « C’est une Afrique vivante et caustique qui est représentée ; c’est une Afrique jeune et dynamique qui est mise en avant, où les femmes ont droit de cité, où les jeunes sont responsabilisés, où la corruption et l’irresponsabilité sont dénoncées. » Tourné en décor naturel avec les habitants du secteur 28 de Ouagadougou – un quartier populaire de la ville – en format vidéo en partie pour limiter les coûts de production, chaque épisode revient à 3000 euros. La série ne prétend pas se démarquer en terme de mise en scène, Ouédraogo ne cherchant clairement pas à faire du cinéma avec ce format calibré pour la télévision. Les plans larges sont rares, et bien plus nombreux les gros plans sur les expressions souvent outrées des personnages.  Fait rare – et donc à souligner – pour une sitcom : Kadi Jolie ne souffre pas des rires enregistrés de ses semblables occidentaux.

Diffusée tous les vendredi et samedi soir à 22h30, et le dimanche à 13h50, Kadi Jolie est un succès populaire. Des graffitis au nom de l’héroïne fleurissent sur les murs et l’industrie du feuilleton est lancée, grâce à l’un des pays les pauvres d’Afrique.

 

[1] http://www.slateafrique.com/339/burkina-faso-sitcoms-television. Article de Damien Glez du 10/02/2011
[2] https://www.jeuneafrique.com/138270/societe/burkina-faso-demi-succ-s-en-s-rie/, 15/02/2013
[3] http://africultures.com/sitcoms-africaines-une-image-des-africains-pour-les-africains-par-les-africains-2290/ Sophie Hoffelt, 31/05/2002

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Durée : 80x12' mn


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