Je suis heureux que ma mère soit vivante est l’adaptation à l’écran d’un fait divers. Les histoires vraies, au cinéma, pourraient être considérées comme un genre en soi, au même titre que le film fantastique ou le western. Elles soulèvent quantité d’interrogations. La part de réel, la part de fiction, l’hybridation des deux et la croyance (ou non) qu’elles donnent à partager. Comme l’ont fait les frères Coen par le passé dans Fargo (1995), cette relation peut devenir duperie (l’histoire soi-disant vraie se révélant être en fait un canular). Rarement pourtant, comme ça l’est dans le dernier film de Claude Miller, le fait divers, la confiance en l’histoire vraie, auront été si pesants, devenant contraintes plus qu’atouts. Ils sont ici poids lourds, omniprésences, virus contaminant l’ensemble de l’oeuvre.
Quel choix a-t-il, le réalisateur, pour illustrer cette histoire qui, de son point de vue, est « incroyable » ? « Qui ça n’interesserait pas une telle histoire ? je me souviens très bien quand je la racontais à des amis. Juste les faits : le parcours de cet enfant de cinq à vingt ans pour en arriver à ce final ». Miller résume ici sa démarche. « Juste les faits » résonne étrangement, à la vue du résultat final, comme le piège à éviter. Ici, cela nous paraît être une désinvestigation du regard porté sur l’histoire.
Ce n’est pas qu’un point de vue clair et précis soit obligatoiremant requis pourtant. L’effacement peut aussi être une démarche, Elephant (2003) de Gus Van Sant en ayant fait une brillante démonstration par le passé. Mais là, il n’est tout simplement pas assumé. L’effacement n’est ici juste qu’une foi totale en la puissance (finalement assez relative) des faits.
Seulement, la mise en images, c’est justement autre chose qu’une histoire racontée à des amis où il s’agirait de manier les mots, la langue. Au cinéma, il faut parler un langage propre à cet art et le peu de choix faits dans ce film ne servent qu’une chose : un souci de lisibilité totale. Trop de clarté ici, tue la clarté. On est dans une image propre, lisse et saturée de lumière. Chaque recoin de l’image (et donc de l’histoire) semble éclairci d’une manière outrancière et ceci a pour effet d’enlever toute ambiguïté sur ce qui s’y passe. Les personnages, pourtant incarnés à l’écran, semblent disparaître, comme étrangers, protégés par une sorte d’aura autarcique nous réduisant à l’état de simples témoins des évènements, perpétuellement exclus. Ce que nous voyons n’est plus que leur histoire à eux, Thomas, sa mère biologique et sa mère adoptive, lointaines figures qui se débattent sous nos yeux perplexes. Tout devient surface, terne, pâle, adouci, sans saveur. De même que pour l’effacement, la distance pourrait aussi devenir thème à traiter, objet d’une attention particulière, mais là encore, ceci ne semble être qu’une piste à peine effleurée.
Oscar Wilde disait : « C’est le spectateur et non la vie que l’art reflète réellement ». Je suis heureux que ma mère soit vivante est un film dans lequel on éclaire la vie dans ses moindres recoins, ceci ayant pour effet de nous tenir perpétuellement à l’écart.