Ingrid Jonker

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Entre Apartheid et déclaration d´amour à la poésie, ce film traite de la vie d’Ingrid Jonker,une poète sud-africaine trop peu connue. Captivant.

La difficulté principale d’Ingrid Jonker, une vie, est d’être un biopic. En général, et surtout parce que la vie de cette poétesse sud-africaine est particulièrement triste, les réalisateurs auraient eu tendance à tirer vers le pathos, et à livrer un film larmoyant. Cependant Paula Van der Oest ne tombe pas dans cette facilité et donne à voir à l’écran une déclaration d’amour à la poésie à travers la vie d’Ingrid Jonker malgré que peu à peu la jeune femme sombre dans la folie.

Le travail de la réalisatrice est certes facilité par le fait que peu de personnes connaissent la vie de cette poétesse. Ingrid Jonker, fille du Ministre de la censure, est une femme indépendante à la recherche de la reconnaissance de son père, elle est également une poète inspirée qui s’opposera au régime de l’Arpatheid malgré le fait que cet engagement la coupera définitivement de son père. Le scénariste s’est inspiré des mémoires de l’amant et ami d’Ingrid, Jack Cope, pour rendre un scénario assez loin de la vie réelle de la poéte, mais qui a le mérite de la faire vivre. Paula Van der Oest a filmé la descente de cette femme dans la folie sur fond de paysage grandiose, avec beaucoup de tact et de subtilité sans jamais tomber dans le larmoyant. Ainsi, à aucun moment, l’état psychique du personnage n’est insoutenable ou agaçant. Reste la performance très juste de Carice Van Houten qui donne à la jeune femme autant de force que de faiblesse.

Bien que cela ne soit pas son sujet principal, la réalisatrice traite également de la vie politique des années 60 de l’Afrique du Sud par touche, en suggérant. Le choix du personnage déjà, la fille du Ministre de la censure qui s’oppose aux visions de son père. Puis, cette scène au début du film où l’on constate le couvre-feu imposé aux habitants des townships. Jusqu’à la scène charnière du film, qui est aussi celle de la vie d’Ingrid Jonker lui inspirant un de ses plus jolis poème (du moins l’un des plus connu) L’enfant abattu par des soldats à Nyanga. Cette scène raconte le meurtre d’un enfant du township de Nyanga par les policiers Afrikaners dont Ingrid Jonker aurait été témoin. Pour mettre en images cette scène, Paula Van der Oest s’autorise une ellipse temporelle, et s’inspire de la célèbre photo de la mort d’Hector Pierterson qui a fait le tour du monde alors qu’elle a été prise près du 10 ans après la mort de la poéte. Mais elle rappelle grâce à cette image forte de la mémoire collective la dureté et l’imbécillité du régime de l’Apartheid tout en traitant de l’écriture d’un des poèmes les plus importants d’Ingrid Jonker.

Car ce film est avant tout une déclaration d’amour à la poésie et à son pouvoir ! Les écrits d’Ingrid Jonker sont insérés dans le film de manière inventive et convaincante. Ils envahissent d’abord les mûrs de la chambre de la jeune poète, puis sa tête, elle les écrit sur tous les supports possibles : vibre embuée, sable sur la plage… et les dicte à voix haute ou en voix off. Paula Van der Oest a choisi de prendre comme un fil rouge le poème L’enfant abattu par des soldats à Nyanga, elle filme d’abord la scène qui inspirera à Ingrid Jonker ce poème, puis traite de la manière dont elle l’a écrit entre la lucidité et la folie qui s’empare d’elle. Enfin, elle clôture son film sur la reconnaissance ultime que reçoit ce poème lors du discours d’investiture de Nelson Mandela en 1994. Alors que la réalisatrice filme les flots dans lesquels s’est jetée la poéte, la voix de Nelson Mandela résonne : "Elle était à la fois poète et sud-africaine. Alors que le désespoir régnait, elle a célébré l’espérance face à la mort. Elle a clamé la beauté de la vie. Son nom est Ingrid Jonker". Preuve, s’il en faut une, du pouvoir que veut donner Paula Van der Oest à la poésie à travers la vie de cette femme.

Titre original : Black Butterflies

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Durée : 100 mn


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