Inchallah un fils

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Portrait en demi-teinte d’une ville et d’une femme prisonnière du patriarcat.

Nous te permettons de vivre chez toi !

Ce premier long-métrage jordanien a été présenté à Cannes en 2023 à la Semaine de la critique où il a obtenu le prix du Rail d’or pour l’aide à la diffusion de la fondation Gan, mais tant d’autres prix ailleurs. Il représentera même la Jordanie aux Oscars 2024. Son succès ne se dément pas et ce n’est que justice car ce premier film est une pure réussite. Il oscille, avec ses propres caractéristiques, entre le cinéma néoréaliste italien et les films de Youssef Chahine qui, de son côté, présentait la société égyptienne à sa manière. Ici, Amjad Al Rasheed, malgré son jeune âge, et aidé de deux productrices jordaniennes et un producteur français, a décidé de s’attaquer au problème du patriarcat dans son pays. Élevé par des femmes qui se confiaient entre elles librement sur les relations avec leurs époux en croyant qu’il ne les comprenaient pas, le réalisateur a entendu plus tard parler d’une tante qui, à la mort de son mari, n’ayant eu avec lui que des filles, aurait dû être privée de l’héritage pour le distribuer à ses frères. Or, ceux-ci ont refusé l’héritage pour éviter qu’elle soit à la rue et lui ont déclaré cette phrase choquante : « Nous te permettons de vivre chez toi ! »

Des décors réalistes

Très choqué à son tour par ces paroles humiliantes, même si elles partaient d’un bon sentiment, Amjad Al Rasheed, qui avait déjà réalisé cinq courts-métrages, a voulu partir du questionnement du scénariste : « Et si ? » C’est ainsi qu’est né ce scénario co-écrit avec Rula Nasser et Delphine Agut, qui raconte justement l’horreur de la vie de la jeune Nawal dont le mari avec qui elle n’avait eu qu’une petite fille vient de mourir subitement. Le frère du défunt veut récupérer l’appartement et tous les biens au prétexte qu’elle n’a pas eu de garçon et que la loi le fait héritier de tout. Cet enfermement des femmes est rendu dans le film par un habile travail sur les trois lieux : l’appartement où vit encore Nawal dans les quartiers populaires, l’appartement de Lauren, une riche chrétienne dont elle s’occupe de la mère et les rues et les espaces publics qui sont tout autant tous des prisons pour les femmes. Nawal, lorsqu’elle entre chez elle, se sent observée par les voisines des autres étages, mais aussi par sa patronne, son frère et celui de feu son mari. Avec une lumière parfaite de Kanamé Onoyama (AFC) et des décors authentiques de Nasser Zoubi, le film fonctionne comme une nasse éprouvante et étouffante dans laquelle se débat Nawad désespérément et avec courage jusqu’au dénouement final qui donne raison au titre du film mais que nous ne dévoilerons pas. Cette prison à ciel ouvert et qui ne perdure que grâce aux traditions, le réalisateur y a bien pensé lorsqu’il déclare dans le dossier de presse du film : « J’ai cherché des décors réalistes et authentiques qui reflètent la vie et la culture urbaine jordaniennes, en tentant de ne rien modifier et d’utiliser des éléments déjà présents, à l’exception de la maison de Nawal, qui a été intégralement redécorée. Dans cet esprit, j’ai choisi de ne placer dans les décors que le strict nécessaire, pour refléter la réalité fondamentale des personnages. Cela inclut la nourriture qu’ils mangent, les routes qu’ils empruntent et les véhicules qu’ils conduisent. » 

Portrait d’une ville

On pourrait voir dans l’existence même de ce film la preuve que la société jordanienne, bien que musulmane dans sa grande majorité, est peut-être en train d’évoluer mais c’était aussi l’occasion pour Amjad Al Rasheed de peindre sa ville d’Amman ainsi qu’il le déclare lui-même : « J’ai voulu montrer Amman telle qu’elle est, sans en donner une vision idéalisée, et rendre hommage à l’incroyable beauté de son désordre urbain. » Et le film est porté tout du long par le charisme et la beauté de Mouna Hawa qui incarne Nawal à la perfection.

Titre original : Inshallah Walad

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Durée : 113 mn


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