Joaquin Phoenix a dit un jour vouloir faire du rap. Son beau-frère en a fait un film. Sans intérêt.
Automne 2008. Joaquin Phoenix vient de terminer le tournage de Two Lovers de James Gray, lorsqu’il annonce à la presse qu’il décide de mettre fin à sa carrière d’acteur pour se lancer dans le hip-hop. Ce documentaire tente de rendre compte du micro phénomène médiatique suscité par ce soi-disant changement de cap qui, s’il a bien trompé la presse et les fans outre-Atlantique, n’a pas beaucoup intéressé au-delà. On y découvre ainsi comment deux années durant, Phoenix a entretenu l’idée de ce revirement, un leurre en réalité, en se livrant à un véritable exercice de composition, proposant l’image d’un rappeur loser mais sincère, qui tente d’imposer une création médiocre qui viendrait « du fond du cœur ». Une « performance », même, dit-on, dont ce film, réalisé par le beau-frère du comédien, Casey Affleck, serait le témoignage. Seulement voilà. Dépossédé de son arme a priori la plus efficace – à savoir l’effet produit par le direct – ce témoignage des différents happenings du comédien possède deux faiblesses qui anéantissent totalement son projet.
La première est de se refuser à établir une ligne qui lui permettrait d’avancer avec cohérence. Au contraire, le film entretient ici un flou artistique quant à ses intentions, et ce malgré quelques commentaires tardifs qui ne font que révéler, au mieux, une certaine faiblesse dans sa conception. Le cinéaste et son co-auteur-performer n’intègrent ainsi pas du tout la dimension temporelle qui fait que pourtant cet épisode a déjà connu sa conclusion il y a quelques mois. Plutôt que d’assumer le caractère quasi-télévisuel du projet (une sorte de top 50 des meilleurs moments / fous rires du délire hip-hop avec drogue et prostituées de Phoenix), ils jouent à faire comme si. Comme si on n’était pas déjà au courant. Comme si on allait cheminer de surprise en surprise. Comme si on allait douter (s’agit-il d’un canular ?). Se rendant bien compte du non-sens d’une telle option, ils tenteront timidement de revenir sur leurs pas (« Nous n’avons pas cherché à faire un canular. ») Mais ce sera peine perdue. Tout ça restera bien contradictoire et on peinera à y trouver du sens.
La seconde est d’essayer de faire croire que cette mise en scène vise au fond à produire un discours sur la façon dont l’hypermédiatisation contemporaine et la dépendance à l’immédiateté ont transformé le rapport aux images, celles-ci agissant à la manière d’un virus qui attaque et transforme le corps. Ce qui justifie ici le retour de cette vieille histoire de la star déchue, sacrifiée à la presse et à son public. C’est ainsi qu’on verra, sitôt les phrases fatidiques prononcées, Joaquin (dont on avait aimé la finesse et l’intelligence des interprétations pour Shyamalan comme pour James Gray) se métamorphoser, prendre du poids, se laisser aller à une certaine nonchalance hygiénique, se laisser pousser la barbe, la moustache, les cheveux, le tout en désordre parfois recouvert par un bonnet (une grande chaussette ?) sale. On le verra également se livrer à de piteuses démonstrations musicales ainsi qu’à des apparitions publiques calamiteuses. On le verra enfin changé dans son quotidien, étonner ses proches, s’engueuler, se battre avec eux, puis se réconcilier (parfois), ou se livrer à des actes répugnants. Tout repose sur l’interprétation de Phoenix, que la caméra n’ose jamais lâcher, toujours à l’affut d’un geste, ou d’un mot, incongru. Présente comme jamais dans un film, envahissante même, la star s’en donne à cœur joie, devenant très vite agaçante dans ses excès. Mais le savoir que l’on a annule tout effet, réduisant chaque tentative de convaincre de la réalité de son changement au statut de laborieuse entreprise. La réalité de l’arnaque apparaît très vite : il n’y a là que faire-valoir pour la star (une conception un peu triste du cinéma) et capitalisation sur une expérience (assez peu intéressante et) déjà finie. Moins qu’une œuvre, certainement pas un témoignage, mais un produit dérivé.
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Titre original : I'm Still Here - The Lost Year of Joaquin Phoenix
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