High Hopes, sortie DVD chez Elephant Classics Films.

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Quand on la dépeint avec un sens de l’humour aussi affûté, la situation est grave mais jamais désespérée. Un des plus beaux bijoux de Mike Leigh.

Conscience politique et cas de conscience

« Les ouvriers n’ont plus le pouvoir« , « Il n’y aura pas de révolution« , ces deux aphorismes,  parmi les nombreux énoncés par Cyril Bender (Philip Davis), expriment le désarroi d’un prolétariat laminé par deux décennies de  Thatchérisme. Une classe sociale qui n’espère plus rien du Politique, tandis que  les bénéficiaires du libéralisme – les nouveaux voisins de sa mère, en l’occurrence –  jouissent littéralement au seul son du mot spéculation. Chez Ken Loach, inamovible référence du cinéma social anglais, ce postulat aurait donné lieu à une opposition binaire censée révéler le courage et la bienveillance des classes les moins bien loties. Le cœur de Mike Leigh penche également à gauche, mais chez lui l’humanisme n’est ni un créneau ni un credo. L’individu n’est pas uniquement défini par son statut social mais surtout par ses actes et ses non-actes. En choisissant comme personnages principaux un simple coursier, Cyril, et sa compagne Shirley (Ruth Sheen), High Hopes  s’installe en zone grise. Celle qui place l’homme devant  ses  contradictions les plus révélatrices. Le couple qui ne roule pas sur l’or condamne les ambitions et les moyens utilisés par ceux qui font de la réussite financière leur principale raison de vivre. « Pourquoi devrais-je gagner plus d’argent ? » lâche Cyril à son beau-frère. Mais contrairement à un grand nombre de leurs proches, le couple dispose d’un logement conforme à leurs attentes (une forme de privilège dans la capitale anglaise). Et surtout, d’une chambre d’ami qui leur permet d’afficher leur sens de l’hospitalité, pour pouvoir rabaisser leurs invités pendant leur séjour (un  sujet qui sera au cœur  de Another Year, 2010). Si, dans un premier temps, l’acidité du couple envers leurs congénères semble motivée par des sentiments de jalousie ou de supériorité, progressivement se révèlent des doutes existentiels. Ne serait-il pas venu, le moment de devenir enfin adulte ? D’accepter de prendre soin d’une mère fragilisée par l’âge ? De ne plus avoir peur de demain, et d’accepter de faire un enfant ?

British Gallery

Un personnage de Mike Leigh se croque à travers ses tics et ses tocs, Deux filles d’aujourd’hui (1997) constituant  l’acmé en la matière. Dans High Hopes, marqueurs de l’état d’anxiété des personnages, les œillades et regards en coin pullulent. Figure de proue des « agités du bocal », Valérie (Heather Tobias), la sœur de Cyril, alterne en un rien de temps les grimaces, de la pauvre victime à l’intolérante maîtresse de maison. Les personnages devant surjouer leurs états d’âme, s’ouvre donc un véritable boulevard pour l’ensemble des comédiens. À l’image de Lesley Manville (actrice la plus fidèle de Leigh) qui batifole avec finesse sous son chapeau de bourgeoise. L’outrance du maquillage et le maniérisme ne donnent cependant pas naissance à de simples pantins à vocation satirique. En partie grâce à l’humanité qui trouve à s’exprimer en maintes occasions. Et, surtout, de par la mise en scène de Mike Leigh, qui, sans effets de manche, déplace son curseur régulièrement. Tantôt dans un poste d’observation, distance propice à l’ironie, tantôt dans une proximité qui reste cependant toujours pudique. Un des effets les plus notables du changement de point de vue réside dans le miroir tendu à certains personnages. Lors de ses premières apparitions, Shirley dégage un aspect physique peu reluisant, sa dentition avancée étant soulignée plus que nécessaire par les cadrages. La dimension rustique voire cradingue de Cyril (barbe non entretenue) s’inscrivant dans la même veine.  Sans rien changer à son look, sans bénéficier d’artifices nouveaux, le couple, à défaut d’être glamour, finit par être des plus charmants.  Comme rassurés, les deux amoureux offrent un visage serein à une caméra qui a su les adopter en retour. Maître dans l’art du tâtonnement et de la nuance, Mike Leigh est l’un des rares cinéastes à porter un regard sans complaisance et sans jugement sur la nature humaine. La comparaison qui est souvent réalisée avec Tchekhov trouve ici, une fois encore, tout son sens.

 

 

 

 

Titre original : High Hopes

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Durée : 108 mn


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