Henry Fool (1998)

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Un aboutissement pour Hal Hartley dont les thèmes s´harmonisent avec ce si singulier mélange de rires et de larmes.

Avec un prix du scénario et une nomination pour la Palme à Cannes en 1998, Henry Fool marquait le sommet de l’irrésistible ascension d’Hal Hartley et son statut de coqueluche du cinéma indépendant américain émergent. Le film poursuit le portrait de marginaux en quête d’ailleurs de ses précédentes œuvres. Cette recherche, clairement établie (le père dans Simple Men) ou plus nébuleuse, suit, à l’image de ses personnages inadaptés, des chemins sinueux et inattendus. Henry Fool ne déroge pas à la règle.

Le Mentor et le désaxé

Henry Fool est la rencontre de deux solitudes, la plus forte n’étant pas forcément celle que l’on croit. D’un côté, celle de Simon Grim (James Urbaniak), jeune homme à la limite de l’autisme, végétant dans un modeste emploi d’éboueur. Constamment moqué et/ou violenté par son entourage, que ce soit sa propre famille pour le moins déséquilibrée, ou par des rencontres intimidantes, il arbore un air hébété en toute situation. Celui qui va le sortir de cette torpeur, Henry Fool, est tout son inverse. Marginal installé dans la cave de la maison, Henry dégage un charisme et une érudition qui captivent immédiatement le jeune homme. Hal Hartley, la caméra agrippé à ses personnages, définit davantage sa mise en scène par leur personnalité que leur environnement. Tout juste esquisse-t-on un arrière-plan banlieusard pavillonnaire pour l’univers quotidien de Simon, mais c’est surtout les séquences absurdes (le début où voyeur, il assiste à une coucherie en pleine rue, ou son vomissement sur ses agresseurs) qui nous donnent à partager son regard décalé sur le monde. Ce sont ces aspects qui rendront paradoxalement crédibles le fait que ce garçon en apparence insignifiant soit capable d’écrire une poésie si dérangeante. Henry est lui doté d’une aura tout aussi singulière. Hartley met grandement en valeur le charisme de Thomas Jay Ryan dont les attitudes et postures maniérées façonnent un personnage fascinant.

 

Une nouvelle fois la mise en scène d’Hartley capture le magnétisme cabossé de Henry Fool dans une stylisation discrète (l’anecdote de l’agression en Amérique du sud) le différenciant du quelconque Simon et dévoilant aussi finalement une certaine superficialité révélée plus tard. Les interactions entre les deux personnages dynamisent constamment le récit par ce que chacun apporte à l’autre. Henry Fool, (autoproclamé) génie incompris par ses mystérieuses mémoires qui l’accompagnent partout, est ravi de faire l’éducation de ce jeune écervelé. Sous l’esthétique « arty », Hartley nous montre en apparence une classique histoire mentor/élève, où la sagesse de l’un stimule la créativité de l’autre. Ce ne sera heureusement pas aussi simple.

Le génie et le raté

Les deux héros sont des êtres en quête, de reconnaissance pour Henry et sens à sa vie pour Simon. Cette recherche en fait les personnages les plus inamovibles d’un entourage changeant, tout aussi perdu mais qui n’a pas défini son besoin. Kevin Corrigan passe ainsi de petite frappe sans but à militant démocrate cravaté et gominé avant de se muer en conjoint brutal dans la dernière partie. Fay Grim (Parker Posey, égérie indie et fidèle de Hartley), petite sœur de Simon passe également de jeune fille oisive tendance nymphomane à mère de famille responsable sans totalement y trouver son compte non plus. On peut également évoquer l’éditeur soudainement intéressé par les écrits d‘un Simon sous les feux de la rampe ou une de ses railleuses du début transformée en admiratrice fervente, sans parler de l’opinion publique qui vilipende puis consacre les poèmes passant de scandaleux à géniaux. Hartley ne semble guère laisser de place aux indécis, hésitants et suiveurs. C’est ce qui fait basculer peu à peu l’équilibre de la relation entre Simon et Henry.

Sous ses airs ahuri, Simon ne simule pas, n’offre pas d’image fausse de lui-même et ne se met pas illusoirement en valeur. C’est ainsi que l’idiot va révéler un génie dont l’art jaillit véritablement de manière inconsciente tel ce premier poème gribouillé au crayon d’une écriture incertaine dans un demi sommeil. Hartley révèle ainsi cruellement tout ce qui trahit la posture chez Henry. Son existence marginale est due à un passé judiciaire douteux, ses élans romantiques avec Fay s’orne de tragédie (le suicide de la mère en montage alterné à leur coït), ou le ridiculise (la demande en mariage sur fond de diarrhée bruyante) et surtout son génie créatif tant vanté s’avère proche du néant. Henry ainsi rabaissé ne s’en avère que plus touchant finalement.

Le titre du film se rappelle alors à notre souvenir, Henry Fool. L’être en détresse, l’idiot (fool) à aider, c’est bien lui. Il a façonné à ses dépens celui qui le renverrait à sa propre médiocrité et la pilule s’avère amère lors d’un douloureux échange ou les rôles s’inversent. Pourtant même s’il n’en a pas les capacités, Henry poursuit un rêve contrairement aux girouettes ou aux âmes perdues (touchante figure de mère égaré mentalement) qui parcourent l’intrigue. Un soupçon de cette espérance lui est symboliquement offert par Simon lors d’une touchante et poignante conclusion où pour quelques minutes, il est traité comme l’illustre génie qu’il aurait aimé être. Hartley entretient d’ailleurs le doute quant à la direction qu’il emprunte lors de sa course finale et donc de son but : savourer le rêve jusqu’au bout ou remercier pour ce court bonheur ? Une belle réussite pour un Hal Hartley qui allait plus nettement marquer le pas par la suite et où l’on regrettera juste un épilogue qui s’étire un peu trop. Sans doute la preuve de son attachement à cet univers et ces personnages, puisqu’une suite interviendra neuf ans plus tard avec Fay Grim.

Titre original : Henry Fool

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Durée : 137 mn


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