Une voiture avale la route. Pas un mot n´est prononcé et seule la musique brise le silence qui règne. La voiture s´arrête dans un endroit paumé. Gerry et Gerry (peut-on voir en ces deux personnages une sorte de dédoublement ?) en sortent, se lançant sur un chemin de grande randonnée. Mais la simple balade se transforme en cauchemar lorsqu´en faisant demi-tour, les deux amis s´égarent.
Gus Van Sant marque le moment de cet égarement par des images floues mettant en lumière la sensation d´incertitude et de doute dans laquelle ils sont. Ils se retrouvent alors dans un lieu proche du sol lunaire auquel succèdera un grand désert de sable, puis une étendue blanche comme la banquise. Ces lieux quasiment irréels donnent naissance à des scènes presque hallucinatoires, notamment celle où, épuisés, ils arpentent cette sorte de désert arctique à la manière de deux zombies sur fond de musique particulièrement étrange.
Le travail sonore est aussi singulier et très important. Peu de musique accompagne ce voyage forcé à travers ces différents espaces. Les deux compagnons de route sont conduits essentiellement par les bruits de leurs pas (marquant ainsi un rythme identique, lancinant et répétitif), du vent, des grillons… Ce qui les entoure appartient à la nature et ils sont alors obligés de vivre avec elle, ou malgré elle. Plus ils avancent et plus la tension devient palpable. Leur amitié est mise à l´épreuve. Ils s´affrontent ou se confrontent eux-mêmes. Sont-ils deux ? Est-il seul ? Gus Van Sant joue avec ce prénom unique, leurs rythmes, leurs psychologies. Il s´en amuse et trompe le spectateur.
Dans cette perspective de perte, d´égarement, de confusion, Gus Van Sant plonge ses personnages dans un véritable labyrinthe (notion présente aussi dans Elephant), au coeur des grands espaces américains. Jose Luis Borges disait d´ailleurs que << le désert est le meilleur des labyrinthes >>. Ils se perdent alors dans l´immensité, se retrouvant face à la solitude et à la nature dans tout ce qu´elle a de plus hostile, mais aussi, de manière plus concrète, face à la peur de mourir, à la souffrance, au manque d´eau…Le labyrinthe n´est ici plus concret et réel comme les couloirs du lycée d´Elephant, mais s´impose tout de même avec force à travers les grands espaces (le cinéaste réalise de nombreux plans larges sur le paysage qui les entoure et finit par les enfermer), mais aussi à leurs propres esprits.
La mort est ici encore présente tout comme les nuages filant à grande vitesse du cinéma de Gus Van Sant. Dans son univers, les jeunes sont souvent confrontés à la mort, de manière précoce bien évidemment. Gus Van Sant introduirait-il ainsi dans ses films sa vision (pessimiste) du monde d´aujourd´hui ?