Gamines

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L’adaptation du livre de Sylvie Testud, bâtie sur un flashback morcelé, oscille entre deux époques. Celle de l’enfance, frondeuse et subjective, est plus réussie.

Ça n’était pas forcément une mauvaise idée de confier à une autre – Eléonore Faucher, réalisatrice du délicat Brodeuses – l’adaptation de son propre livre, celui-là même qui s’amusait à broder (précisément) entre fiction et réel, ravaudant dans une langue joueuse, rapide, ébouriffée, les grosses petites déchirures du passé. D’autant que le motif principal de Gamines, le livre, n’est autre que la filiation, et la façon dont chacun trouve sa place dans une famille. La façon dont chacun y tient un rôle, aussi. Peut-être à vie. Etait-ce, en revanche, astucieux d’incarner la Sybille adulte, celle qui, mélancolique (quoique actrice acclamée), se penche sur son enfance tandis qu’elle s’en retourne à Lyon, sa ville natale qu’elle avait, dix ans auparavant, si volontiers biffée ? Pas sûr.

Non pas que Sylvie Testud déçoive. En quelque quinze années de carrière, la blonde et fluette comédienne, elfe gouailleur à nul autre pareil dans le cinéma français, s’est montrée épatante dans tous les registres. Alors pourquoi pas dans celui de l’autofiction ? En fait, ce qui cloche et froisse un tantinet la jolie matière de Gamines, le film, ce sont ces va-et-vient, justement, entre les deux époques. L’ourlet, bien que soigné, ne prend pas toujours. Du coup, l’attention se relâche.

On part donc du présent, un rien emprunté (le maquillage des comédiens, vieillis ; la raideur du personnage de Sybille ; la tristesse diffuse qui imprègne l’ensemble, jusqu’à la ville, atone, presque grise). Et l’on plonge dans les souvenirs, un rien surchargés : confer l’esthétique plus ou moins années 70, colorée, extravertie, ostensiblement « italienne », hésitant entre les fantasmes rétrospectifs de la Sybille trentenaire, et le regard rebelle, quoique émerveillé, de la petite Sybille de dix ans. Un flashback classique ? Oui, pour le moins. Entre ces deux temporalités – plus impressionnistes et sentimentales que réalistes et documentées –, une voix off en guise de lien, de fil en quelque sorte. Un fil qui se dédouble : parfois, c’est la voix de la grande Sybille, d’autres fois, c’est la petite qui prend le relais.

Déroutant ? Pas forcément. Plutôt frustrant. Car indéniablement, la partie la plus réussie est celle de l’enfance. D’abord, parce que le côté garçon manqué de la Sybille d’alors – raccord avec l’écriture du livre de Sylvie Testud – imprègne de burlesque cette famille sans père, bâtie sur un secret. Frondeuse, « portrait craché » du Grand Absent, elle court-circuite toute tentation d’apitoiement, touchante aussi bien par ses bourdes que par la transparence de ses « batailles ». Le trio qu’elle forme avec ses deux sœurs, complémentaires et indissociables, donne à voir une complicité très juste à l’écran (joli travail des trois jeunes comédiennes).

Ensuite, parce qu’il est impossible de ne pas être, à un moment ou à un autre, séduit par le talent de conteuse d’Eléonore Faucher. Elle sait restituer avec finesse, souvent avec humour, et en évitant soigneusement la nostalgie béate, les jeux de rôle que chacun s’accorde dans une fratrie. De même qu’elle a su, par touches et saynètes, restituer le regard si paradoxal – entre fascination, férocité et désarroi – que cette fratrie porte sur les incohérences du monde adulte. En cela, Gamines accède à une vérité. La frôle, en tout cas.

Car pour finir, en dépit du travail très investi des comédiens (toutes les filles rêvent d’avoir un parrain comme Jean-Pierre Martins !), le long métrage d’Eléonore Faucher laisse une impression d’élan suspendu. Comme si elle s’obligeait à rester au bord de quelque chose, sans se permettre de l’atteindre tout à fait. La distance impliquée par le morcellement du flashback – un vrai parti pris de mise en scène, donc – est forcément pour beaucoup dans cette trop grande retenue. De fait, en dépit de moments doux et de morceaux de bravoure plus tempétueux, l’ensemble exhale davantage un sentiment de représentation que d’incarnation. Pas simple de s’attaquer au « mentir-vrai » d’une actrice, surtout quand cette même actrice, rigolote et bravache, a définitivement réduit l’image de son père… à une photo !

Titre original : Gamines

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Durée : 107 mn


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