Fighter

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Incroyable mais vrai : le vilain petit canard boxe… et « Fighter » va mettre KO !

David O. Russell est un réalisateur sympa. Ses films (Les Rois du désert, 1999 ; J’adore Huckabees, 2004) ne cassent pas trois pattes à un canard, mais avaient jusqu’à présent un abord pas déplaisant, (très) gentiment barré et une énergie communicative. Un bon vieux copain qu’on est heureux de croiser par hasard, mais surtout content de ne pas voir trop souvent. Ce Fighter-là aurait plutôt tendance à espacer nos relations. C’est son acteur fétiche Mark Wahlberg, producteur du film, qui fit appel à lui après avoir essuyé le refus de Scorsese et l’abandon d’Aronofsky (qui reste tout de même à la production).

Dans l’Amérique contemporaine, on n’imprime plus la légende, mais on cherche à écrire l’histoire, la vraie : celle touchante et humaine à laquelle on peut s’identifier facilement, partager les aléas et peines du héros avant de le voir triompher de ses épreuves. Car oui le héros triomphe toujours. C’est donc, et David O. Russell le fait remarquer à de nombreuses reprises-  intertitres introductifs, fausses interviews, apparition finale des vrais protagonistes -, l’adaptation d’un fait réel, mais pas du tout divers, qui nous est proposée : l’ascension de Micky Ward (Wahlberg), boxeur de seconde zone entraîné par son demi-frère Dicky Eklund (Christian Bale), gloire éphémère du ring. C’est une relecture du vilain petit canard qui s’offre à nous : le vilain petit frère moins doué, s’ébattant mollement dans l’ombre de la gloire du grand frère chéri par sa tendre maman (Melissa Leo oscarisée pour l’occasion). À ce joyeux trio, il faut ajouter la belle dulcinée qui viendra révéler l’homme à lui-même et faire de lui le héros (Amy Adams à qui il faudra bien dire un jour d’abandonner ses moues de Nicole Kidman du pauvre).

Sujet rabattu s’il en est, mais, on le sait, ce n’est pas le sujet qui fait la qualité d’un film, Fighter pêche à la fois par son ratage formel assez global et une sorte d’ambition non pas démesurée, mais surtout trop volontairement universelle. Tout est dans Fighter : le portrait, élément classique du film sur le sport, de même que la chronique sociale, le drame familial, la comédie de caractères, le pamphlet anti-drogue… On remue tout ça et malheureusement pas grand-chose n’en sort. Le drame familial est plombé par une volonté absolue d’humanisation des personnages (car personne n’est vraiment méchant au fond). L’aspect comique prend mal car ses ressources – pourtant évidentes avec des personnages secondaires hauts en couleur et en chevelures gonflées – sont peu exploitées et ses effets laminés par un montage à la truelle. Et le pamphlet anti-drogue a les airs navrants d’un spot de prévention desservi par la prestation grotesque de Christian Bale qui alterne gros accent et voix de vieux parrain pour laquelle il a été oscarisé comme meilleur second rôle au côté de Colin Firth le bègue (Le Discours d’un roi – Tom Hooper, 2011), la cérémonie des Oscars 2011 apparaissant plutôt comme le concours de la meilleure imitation.

 
Reste le film sur le sport ni bon ni mauvais. À la volonté à toute épreuve d’un personnage brisé en cours de route se substitue ici un boxeur volontairement mou, presque apathique, qui passe du joug de sa mère à celui de sa femme. Le personnage déceptif de Mark Wahlberg – qui n’a pas l’air de bien savoir quoi faire de ses nouveaux gros bras – sert malheureusement plus de faire-valoir au défilé des trublions secondaires que de moteur au film. Même dans ses moments de lumière (les combats), la caméra va se tenir à distance de lui. C’est en effet l’une des curiosités de Fighter : le film donne l’impression d’être tranquillement installé devant sa télé. La mise en scène des combats reprend très directement la manière télévisuelle de cadrer le spectacle sportif. On est donc constamment hors du ring, en grand angle ou tournant autour de l’arène, constamment exclu du combat. Un plan excepté, la caméra ne s’approchera pas des boxeurs et le film se soumet à la loi du petit écran, reprenant même l’irritant commentaire sportif.
 
Quelques scènes ou courtes séquences de Fighter s’illustrent (enfin !) par des choix de mise en scène réfléchis : des accélérations/contractions temporelles ou encore une magnifique vision psychédélique du drogué en manque nous font miroiter des qualités que le film n’aura jamais vraiment, trop attaché qu’il est à ménager l’avènement d’un héros et la rédemption du poivrot au son d’une musique cool. Car si "the show must go on", le plus important c’est surtout : « tout est bien qui finit bien. »

Titre original : Fighter

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Durée : 113 mn


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