Le cinéma espagnol et les enfants
Avec, entre autres, Marcelin, Pain et Vin de Ladislao Vajda (1955), Le chemin d’Ana Mariscal (1964), Cria Cuervos de Carlos Saura (1976) et L’esprit de la ruche de Victor Erice (1973), le cinéma espagnol a su parler parfaitement et diversement de l’enfance. La ressortie en salles de ce beau film d’Achero Mañas, El Bola, réalisé en 2001, en constitue une preuve supplémentaire. Que penser d’un enfant qui, même au cinéma, souffre, est martyrisé et sait à qui se confier ? De la compassion, bien sûr, et du ressentiment aussi envers les adultes responsables. Pour ce film qui a connu un grand succès en Espagne en traitant d’un drame familial qui est souvent passé sous silence, Achero Mañas obtient les Goya du meilleur réalisateur et du meilleur scénariste. Il a également été récompensé aux European Film Awards et dans de nombreux autres festivals étrangers.
Jeune collégien battu par son père
Pablo est un jeune collégien de douze ans, calme et apparemment sans histoires, attaché à son talisman, une bille d’acier qu’il ne lâche jamais, d’où son surnom. Mais quels terribles secrets le poussent à éviter la compagnie de ses camarades de classe sauf pour partager avec eux des jeux dangereux, comme se jeter soudainement sous les roues d’un rapide pour se saisir d’une bouteille déposée entre les rails ? L’arrivée d’un nouvel élève va bousculer son quotidien sombre. Va-t-il, grâce à lui, échapper aux lourds fardeaux qui pèsent sur ses jeunes épaules et trouvera-t-il en lui le soutien qu’il recherche depuis toujours ?
Cinéaste virtuose et discret
Le réalisateur, sans doute impressionné par le travail de Luis Buñuel et son inoubliable Los Olvidados, a sans doute voulu lui aussi traiter – mais dans d’autres circonstances – de l’injustice suprême du malheur chez les enfants. Il s’en est confié dans la note d’intention de ce film qui ressort aujourd’hui et qu’on ne saurait trop recommander. « En 1996, après avoir travaillé plusieurs années comme comédien, j’ai écrit et réalisé mon premier court-métrage intitulé Metro, dans lequel j’ai essayé de décrire des situations vécues par les enfants des grandes villes. J’ai poursuivi ce travail sur les ambiances des banlieues urbaines avec Cazador. Suite à ces expériences, j’ai travaillé avec différents gamins de onze à treize ans – des enfants que je cherchais dans la rue, dans les collèges publics et dans des centres d’accueil – et qui répondaient à certains traits communs : ils vivaient tous dans des banlieues, leurs familles faisaient partie de la classe ouvrière et tous, d’une façon ou d’une autre, étaient soumis à des situations violentes. » Ici, encore une fois, on rencontre des enfants d’une école mais plus particulièrement deux copains de la même classe de deux familles différentes. L’une est assez traditionnelle d’un milieu de petits commerçants et dont le père est sévère et frappe son fils, le petit Pablo. L’autre famille, celle du nouveau copain de Pablo, légèrement plus grand, Alfredo, est vraiment moins traditionaliste puisque le père d’Alfredo est tatoueur. Bien sûr, ce métier étrange fascine Pablo qui trouve que c’est beaucoup plus original que d’être quincaillier comme son propre père. D’ailleurs, le père de Pablo ne veut pas que son fils les fréquente. Or, c’est dans cette famille prétendument dysfonctionnelle que Pablo trouvera équilibre et réconfort lorsque son père le battra trop violemment. Film tout en retenue et fort qui réussit en quelques plans d’une grande sobriété à recréer un univers et à donner au moindre geste de tendresse une importance capitale quand un enfant souffre dans sa tête et dans son corps. L’ensemble de ces éléments conduisent à obtenir un film cru, vrai et réaliste dont l’argument même de l’histoire ne s’efface pas derrière des effets ou une virtuosité technique.